Interdit de séjour dans les Vosges, Jean-Marie Villemin n’a plus que la peau sur les os à Noël 1987 lorsqu’il ressort de prison en conditionnelle au bout de trente-trois mois de tourments et de chagrin. Longtemps considéré comme « le pauvre con, aveugle » sur le double jeu supposé de sa femme, il est désormais « l’assassin » de son cousin Bernard Laroche ou « le justicier ». Christine a accouché seule, le 30 septembre 1985, de Julien, « conçu dans les larmes », « l’enfant de la survie », comme elle l’appelle. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, toujours inculpée d’infanticide, victime d’un procès en sorcellerie, désignée par les médias comme le « monstre de la Vologne ». Soudés dans le malheur, Christine et Jean-Marie Villemin tentent de se reconstruire sur les ruines de l’assassinat de leur fils Grégory qui les a dévastés. Le 5 janvier 1988, le « petit couple », ainsi baptisé par leur avocat, Me Henri-René Garaud, atterrit dans un logement HLM à côté d’Évry, dans l’Essonne, et met sur la boîte à lettres le nom du beau-frère de Christine : « Dittinger ». Une secrétaire médicale du coin, qui enregistre sa véritable identité, lui lance : « Cela ne vous embête pas de porter le même nom que Christine Villemin ? » Face à son miroir ou en son for intérieur, elle cherche encore sur son visage ce qui a pu susciter autant de haine.
Repris dans une filiale de l’ancienne société qui l’employait dans les Vosges, Jean-Marie travaille comme technicien de laboratoire et Christine reste au foyer. Ces amoureux de la nature sillonnent le sud de la région parisienne et trouvent une nouvelle maison de lotissement dans un petit village de l’Essonne planté à la lisière de la campagne en mai 1988. Ils tapissent les murs de portraits géants de Grégory. Les Villemin ne cachent rien à Julien de l’existence de ce grand frère ni de sa mort violente, mais les racontent avec des mots simples, en essayant de ne pas le lester d’un fardeau. Car aux yeux des parents, « il n’y a rien de pire que le secret ». Ils l’écriront plus tard dans un très beau livre à quatre mains, Le Seize octobre (Plon, 1994). Ils ont trop souffert des secrets de famille qui firent les gorges chaudes du corbeau maléfique. Ils refusent que leurs enfants apprennent un jour par l’extérieur des éléments de l’histoire, comme Jean-Marie et son frère illettré Michel ont appris par le corbeau le statut de « bâtard » de leur aîné Jacky. Ils ne veulent pas que leurs enfants soient informés par