«Ce n’est pas un lapin qu’on sort du chapeau ! » Comme l’explique aux Jours le colonel Jacques-Charles Fombonne – qui épèle son nom en parfait militaire, « Foxtrot Oscar Mike Bravo Oscar November deux fois Écho » –, les 350 analystes criminels exercés au maniement du logiciel Anacrim doivent trier les données, avoir du nez, repérer les concordances et les contradictions – soulignées à l’encre bleue dans le rapport sur l’affaire Grégory Villemin – pour « tirer des conclusions ». Il ne faut pas croire que la machine va, d’un coup de baguette magique, livrer les noms des coupables, explique le colonel Fombonne, qui commande le centre de formation des gendarmes officiers de police judiciaire. C’est ainsi que l’adjudante de gendarmerie et la maréchale des logis-chef qui signent ce travail colossal ont exploré par le menu les faits et gestes de tous les protagonistes depuis l’automne 1984 jusqu’au printemps 1985, et ce dans sur un procès-verbal d’analyse criminelle de 240 pages titré « Évènementiel ».
Le PV démarre quasiment par la visite impromptue de Michel et Ginette Villemin à Jean-Marie et Christine le 14 octobre, à l’heure de l’apéro, pour demander des conseils sur l’achat d’une 4L. Car ce dimanche-là, deux jours avant le crime, ce frère aîné illettré de Jean-Marie et son épouse apprennent que Jean-Marie « peut toucher des commissions s’il vend des maisons », qu’il a reçu une prime de participation aux bénéfices de son usine Autocoussin et contracté un prêt à taux très avantageux pour agrandir son domicile. Outre sa cave garnie de bouteilles de vin achetées chez Champion, le couple avise son « très beau salon en cuir payé comptant 20 000 francs ». Et Michel, qui en est resté baba, lui a lancé : « Il faut vraiment être un chef pour se payer ça ! »
Dès le lendemain, des « mouvements suspects » de personnes sont repérés à Lépanges-sur-Vologne et consignés dans le procès-verbal de synthèse d’Anacrim de 48 pages. En particulier un homme a été aperçu à quatre reprises par le même témoin, Michel Deruder, qui traîne aux abords de l’école maternelle de Grégory, devant la Poste et dans les parages du domicile des époux Villemin, notamment le 15 octobre 1984 – soit la veille du meurtre de l’enfant – après 17 heures, dans les parages du domicile des époux Villemin. Il était planté à la lisière de la forêt vers la décharge sauvage, avec un fusil… De ce point d’observation, on peut « voir le toit de la maison » des parents de Grégory.