En ce début d’été 1985 dans les Vosges, une énième expertise graphologique désigne Christine Villemin comme le possible corbeau. Cette fois-ci, le 5 juillet, le juge Jean-Michel Lambert la convoque et les yeux fixés sur le bout de ses souliers, assène froidement à « la mère » : « Je lève l’hypothèque et je crève l’abcès. Je vous inculpe pour l’assassinat de votre fils » selon le récit de Christine Villemin dans Le Seize octobre (Plon, 1994). Puis il signe le mandat de dépôt, pour l’expédier en détention contre l’avis du procureur, sans la regarder. Enceinte de six mois, la mère de Grégory se met en grève de la faim dans sa cellule. Les médias se déchaînent alors contre la « sorcière » et puisent dans son enfance des faits imaginaires. Déjà petite, elle jetait ses poupées à l’eau, signait « Le corbeau » à l’école et souffrait de trous noirs. L’Est républicain cite de prétendus extraits de rapports des psychiatres qui n’existent pas : « Femme sans instinct maternel », « supérieurement intelligente et calculatrice », « état mental confus », « hystérie à caractère pervers ». Les experts Brion et Leyrie, qui n’ont décelé chez Christine Villemin « aucun symptôme de névrose, aucun état d’aliénation, aucun délire », sont obligés de monter au créneau pour protester contre ces fausses informations. Et comme la mère n’a pas de mobile apparent, on lui en trouve : Grégory serait né d’une liaison illégitime, Christine Villemin serait devenue meurtrière pour effacer le fruit de son adultère. Grégory avait pourtant sur les pieds une particularité physique héritée de son père et de son grand-père Albert :pas d’ongle sur le petit orteil. Certains supposent que Grégory a surpris sa mère en pleins ébats avec un autre homme et qu’elle a supprimé ce témoin gênant. Autre médisance gratuite, elle l’a tué par jalousie car son mari vouait à son fils de 4 ans un amour démesuré. Des mauvaises langues qualifie le gamin de « mal-aimé » et d’autres, à l’inverse, « d’enfant-roi » choyé, épanoui, en avance pour son âge et intelligent. Ses détracteurs imaginent que la mère rêvait de quitter cette région froide et austère pour aller dans le midi de la France, et a donc éliminé son gosse, obstacle à la liberté, pour filer dans le Sud… Bref, tout est bon pour enfoncer Christine Villemin, dont le chagrin après le crime est soi-disant simulé.