À Yarova (Ukraine)
C’est une histoire comme il en existe maintenant des centaines, des milliers peut-être, dans les territoires libérés de l’est de l’Ukraine. Celle-ci tourne autour d’une réunion – on irait presque parler d’assemblée citoyenne – tenue par une claire journée de fin juin. Yarova, à un petit kilomètre de la rivière Donets qui sépare alors les forces russes de l’armée ukrainienne, est un village de ligne de front, occupé depuis peu, coupé du monde par la férocité des combats, sans électricité ni réseau téléphonique. Dans un bâtiment communal décrépit, entre l’église et l’école du village, le père Nikolaï fait ce jour-là office d’organisateur autant que de maître de cérémonie. Le vieux prêtre, affublé d’une longue barbe grisâtre, est parvenu à réunir quelques dizaines de personnes sur les 700 vivant encore dans le village – certains n’ont pas voulu venir, la plupart, qui tentent d’échapper aux bombardements en se cachant dans leurs caves, ne sont simplement pas au courant.
L’homme officie dans l’église du village depuis près de trente ans. Comme l’écrasante majorité des clercs de la région, il fait partie de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, réputée très proche d’une Église russe devenue soutien fervente de l’invasion. Un notable auréolé d’une autorité que personne ne peut vraiment lui disputer – le maire est parti en avril se battre aux côtés de l’armée ukrainienne, et la plupart des figures du village ont fui à l’arrivée de l’armée russe.