Ce 18 novembre, ils sont un peu plus nombreux que d’habitude, pour la désormais traditionnelle manifestation du samedi. Plus d’une centaine de personnes, dont bon nombre d’étudiants, réunies devant l’imposant bâtiment en pierre de la mairie de Kyiv– granite ocre sur la façade des trois premiers étages, briques et colonnades blanches sur les sept suivants. Des pancartes peintes à la main sont levées haut et affichent des exhortations autour d’un thème unique : « de l’argent pour l’armée ». Ici, c’est « Un périph à Obolon pour 350 millions de hryvnias ou la vie de nos soldats ? ». Là, « Mes impôts sont pour l’armée, pas pour les routes ». Et un immense drapeau ukrainien, porté par le cortège le long de l’avenue Krechtchatyk jusqu’à la place Saint-Michel, devant le monastère du même nom, où les manifestants doivent partager l’espace avec des carcasses de tanks et de pièces d’artillerie russes exposées là depuis des mois. Le tout sous l’œil désintéressé de la police, qui tolère un défilé hebdomadaire – le dixième en autant de semaines – techniquement illégal dans une Ukraine sous loi martiale.
Une manifestation paisible organisée autour d’une problématique qui agite depuis plusieurs semaines la société : l’événement aurait été des plus banals si ce genre d’expression publique n’avait pas disparu en Ukraine pendant un an et demi. Il n’est pas le seul, alors qu’une série de polémiques secouent depuis plusieurs semaines un pays qui se prépare dans l’anxiété à vivre le deuxième hiver de la guerre – dans la nuit de vendredi à samedi, la Russie a lancé plus de 70 drones sur Kyiv, l’attaque la plus massive depuis le début de l’invasion, d’après les autorités ukrainiennes. Financement de l’armée, mobilisation, résultats de la contre-offensive : classe politique, activistes et société au sens large se sont remis à débattre, quitte à ne pas tomber d’accord. « Tout le monde réfléchit à ce dont on a besoin pour vaincre, donc je pense que c’est une discussion tout à fait naturelle, qui montre en fait que même en période de loi martiale la démocratie ukrainienne reste vivante », assure le politiste Olexiy Haran.
Une situation qui ne va pas de soi. Le 24 février 2022, l’invasion russe de l’Ukraine (lire l’épisode 21, « En Ukraine, un 24 février qui n’en finit jamais ») met entre parenthèses l’idée même de débat public.