Salut, c’est moi, le maître des horlooooooges ! Comment ça, qui ? Ben moi, Emmanuel Macron, le CEO de la France, OK, le président de la République si vous préférez, ça ne vous a pas échappé, si ? Et maître des horloges donc. Même si ça fait un peu Fort Boyard, c’est une de mes expressions favorites, des mois et des mois que je la sers à tout bout de champ. Manière de dire que c’est moi qui décide, pas les médias, ni personne : moi. Moi qui décide si Édouard Philippe ou pas Édouard Philippe. Moi qui décide si le nom de mon Premier ministre sera annoncé à 8 heures du matin ou à 14 h 53, moi qui fais poireauter les médias pendant des heures, et vous savez quoi ? Ils adorent. Ils m’adorent. « Président ! », s’exclamait ce lundi matin La Voix du Nord ; « Macron en homme d’État », constatait Sud-Ouest ; « Un sans-faute », estimait France Info ; « Un impeccable sans-faute », abondait Libération. Au Figaro, il a suffi que je remonte les Champs-Élysées dans un truc blindé pour qu’aussitôt – en voiture, Serge Dassault ! – ils choisissent cette photo-là pour leur une. Ils m’adorent.
Dis donc, Emmanuel Macron, t’es peut-être le maître des horloges, mais pas celui des Jours, non mais ! Tu crois que tu peux faire comme chez toi et squatter impunément les articles ? Allez, on reprend la main. Être dans la tête d’Emmanuel Macron, un rêve journalistique, semble-t-il. Dans sa tête, dans son lit, in bed with, embedded avec le nouveau président de la République, dans chacun de ses pas, traquant le moindre de ses mouvements, filmant des portes fermées au cas où et des cours vides des fois que.
Nous suivons évidemment ce taxi pour savoir où il se rend.
Et s’il faut suivre des taxis, on suivra des taxis. Le motojournalisme, sous-genre de notre beau métier consistant à suivre un élu au soir de sa victoire en filmant la vitre fumée de sa berline, ne suffisait en effet plus. Lundi, a été ainsi inauguré le suivi d’Édouard Philippe – c’était écrit dessus sur BFMTV en toutes lettres : « Suivi d’Édouard Philippe » – dans un taxi G7, « un taxi tout ce qu’il y a de plus classique », a utilement commenté la chaîne info. Édouard Philippe dont personne ne pouvait assurer qu’il serait effectivement Premier ministre quelques heures plus tard. Les motos de BFMTV et LCI étaient là, au pied du domicile parisien du maire du Havre, et l’ont traqué live : « Nous suivons évidemment ce taxi pour savoir où il se rend. » En plateau, les journalistes jouaient les GPS, s’il tourne à droite ici, peut-être va-t-il à l’Élysée, s’il tourne à gauche là, méfiance, ce peut être pour Matignon. Ne pas y voir de métaphore politique surtout, il y avait juste un taxi et en plateau des commentaires tels que « Y a pas de clignotant » ou « Ce qu’on peut dire à ce stade, c’est qu’on est un peu surpris ». Oui, nous aussi.
Jusqu’à ce que, une fois l’encore simple député Édouard Philippe déposé à l’Assemblée nationale, le chef du service politique de BFMTV, Thierry Arnaud, évoque certaine porte dérobée menant du palais Bourbon à celui de l’Élysée. « Mais c’est pure spéculation », précisa-t-il, sauvant l’honneur du journalisme d’ameublement, celui où il faut tenir l’antenne quand il ne se passe rien. Ce journalisme qui a duré, duré, duré... Car une fois Édouard Philippe enfermé dans son bureau de l’Assemblée, il restait encore quasi 2 h 30 d’antenne à se gratter la tête : « Soit Emmanuel Macron veut jouer avec nos nerfs, soit Emmanuel Macron et Édouard Philippe prennent plus de temps », a ainsi analysé un Thierry Arnaud au bord du burnout. Soit les deux. Soit la thèse complotiste également entendue en plateau : « Peut-être qu’on nous balade, nous les journalistes, en nous faisant suivre Édouard Philippe alors que c’est une fausse piste. » Ou alors Emmanuel Macron avait d’autres Merkel à fouetter.
Il y a quelque chose de très beau tout simplement dans ce genre de cérémonie.
Faut dire qu’après un dimanche à tenir l’antenne de l’investiture pendant des heures d’affilée, les journalistes n’avaient d’autre solution que de tourner à la drogue pour assurer ce lundi d’attente premierministérielle. Ou bien est-ce que seul suffit le shoot du spectacle du pouvoir, de sa pompe, de ses apparats ? Mais non, assurait dimanche depuis le toit de l’Élysée Apolline de Malherbe pour BFMTV, « il y a quelque chose de très beau tout simplement dans ce genre de cérémonie ». Ulysse Gosset, sur le plateau de la même chaîne, défaille presque : « Ah ! C’est une autre époque ! C’est Bonaparte entrant à l’Elysée ! » Mais comment fait-il pour être aussi talentueux, cet Emmanuel Macron ? « Sans non plus tomber dans la familiarité, il sait garder la bonne distance », entend-t-on sur BFMTV encore tandis que rien n’échappe à Ruth Elkrief : « Il vient de faire une bise à un enfant et c’est peut-être la première fois », se pâme-t-elle.
Tout est l’occasion de disserter longuement, à commencer bien sûr par Brigitte Macron. La couleur de son tailleur (pervenche ? Lavande ? On a tout entendu), son couturier, Nicolas Ghesquière, la marque, Vuitton. Oh bien sûr, elle n’a pas payé mais c’est un prêt et elle rendra le tailleur, on s’en fout, enfin, jouez pas les rabat-joie, « c’est une manière de mettre en valeur les marques françaises », voyons. Brigitte Macron, nous dit BFMTV, « sera un peu l’hôtesse » des lieux, évidemment, la popotte et la vaisselle, vous pensiez quand même pas qu’elle allait s’occuper du parc automobile de l’Élysée ?
Cette journée, c’est, point de vue journalistique, entre Léon Zitrone (Zitrone, les jeunes, c’est un peu Stéphane Bern) et Sissi (Sissi, les jeunes, c’est un peu Nabilla sans les nichons). Avec un Christophe Barbier qui lit la politique dans la ligne des poignées de main : « S’il parle à NKM ou Valérie Pécresse, ça voudra dire une ouverture à droite. S’il parle à François Bayrou, ce sera pour apaiser les tensions. »
Pas étonnant, après une telle séance de journalistes totalement collés, au sens propre comme au figuré, à leur sujet, que, dimanche après-midi pendant la séance de l’hôtel de ville de Paris, on ait mis du temps à sursauter en entendant une voix familière. « Brigitte touche vraiment beaucoup de femmes, beaucoup d’hommes aussi, dit cette voix off sur le plateau de France 2 pendant que les images de Madame défilent, cette histoire touche particulièrement le cœur de beaucoup de Français. » Un bel écho à une phrase de la même eau, mais signée Apolline de Malherbe le matin-même sur BFMTV (« Il a réussi à en faire une très belle histoire à laquelle les Français sont sensibles »). Retour sur France 2, et encore cette voix, sur les images des malabars qui protègent Macron : « Ces hommes qui se sont engagés, qui se sont formidablement dévoués. » Quand soudain, illumination : cette voix au ton journalistique, c’est celle de Laurence Haïm. Invitée sur le plateau de Laurent Delahousse, l’ancienne journaliste passée à la com d’Emmanuel Macron fait de la retape pour son président de patron. Et elle bouffe tout le plateau, coupant la parole, trustant le commentaire, nommant chacun des membres de l’équipe Macron qu’on voit à l’image, déroulant chacun des arguments de com, « la positivité » d’Emmanuel Macron, « sa volonté de rassembler », sa campagne faite « de manière professionnelle, naïve et romantique ». En boucle, Lolo, à fond, Lolo. Qui vante tranquillou les mérites de la « photojournaliste » Soazig de La Moissonnière et de sa photo « iconique » d’Emmanuel Macron le 7 mai au Louvre. « Elle s’est retrouvée seule avec lui », précise-t-elle. Ben oui Lolo, et c’est bien le problème : Soazig de La Moissonnière est une photographe intégrée à l’équipe de com de Macron, donc toute acquise à sa cause, à qui on ouvre forcément toutes les portes et qui revend ses clichés aux journaux.
La ficelle ressemble tellement à une corde à nœuds que ça finit par énerver la journaliste de France 2 Nathalie Saint-Cricq en plateau, laquelle avait peut-être encore sur l’estomac les boas avalés lors du débat de l’entre-deux-tours. Et qui lance à propos de la photo : « Faut pas être bêta, c’est de la com hyper contrôlée. » Holala Nathalie, mais tu veux finir au goulag ou quoi ?
Et encore se passait-il au moins quelque chose à l’image, ce dimanche, des poignées de main, des discours. Mais lundi, voilà, il ne se passe rien. C’était sûr, le nom du Premier ministre serait annoncé à 8 heures. À 8 heures, rien. À 9 heures, rien. Le bandeau en bas de l’écran de BFMTV s’adapte au fur et à mesure que l’attente s’allonge : « La nomination imminente » devient « le suspense d’une nomination », puis « Matignon prêt pour la passation », puis « dans l’attente du Premier ministre », pendant que passent en boucle les images d’un homme balayant la cour. Alors évidemment qu’il faut filmer le parcours d’Édouard Philippe en taxi, bien sûr : s’il n’y a pas d’info, inventons-la. Et quand elle survient enfin, l’info, elle dure huit secondes, le temps qu’il faut à Alexis Kohler, le nouveau secrétaire général de l’Élysée, pour annoncer la nomination d’Édouard Philippe. Effet comique garanti pour qui vient de s’appuyer presque sept heures d’antenne.
Enfin, alors, le réacteur à réactions peut s’enclencher, comme un hachoir à viande politique : la déclaration en direct de tel ou tel finit quelques instants plus tard empaquetée dans le bandeau déroulant des chaînes info. L’« homme de gauche », ainsi que s’est défini Bernard Cazeneuve en quittant Matignon, et l’« homme de droite » ainsi que s’est défini Édouard Philippe qui y entre. « Toutes les qualités » d’Édouard Philippe, selon son papy Alain Juppé. « Ne donnez pas les pleins pouvoirs » à Macron, retient BFMTV du discours de Jean-Luc Mélenchon (mais pas son « que chacun de vos bulletins de vote soit comme un balai pour les dégager tous »), « un système UMPS » pour le FN, « la fin des vieux clivages » pour Marielle de Sarnez qu’une déclaration de son patron François Bayrou viendra forcément balayer.
Vous voyez bien, Les Jours, que je suis le maître des horloges, vous venez de le démontrer. D’ailleurs, pendant qu’ils parlaient de moi encore et encore, je me suis envolé. « Merkel/Macron la rencontre », ont-ils écrit sur BFMTV en incrustation, m’a dit Sibeth NDiaye, parfait. Ils ont aussi retransmis en direct mon passage en revue des troupes allemandes avec Angela Merkel et je ne me suis pas gouré dans les pas comme l’avait fait Hollande il y a cinq ans. Bientôt, je vais faire mon discours aux côtés de la chancelière, on sera d’égal à égal, et BFMTV filme déjà l’attente. Sibeth a envoyé quelques SMS aux journalistes aussitôt retranscrits sur les bandeaux des chaînes infos avec la mention « a fait savoir son entourage ». Ainsi mon entourage a fait savoir que mardi, Édouard et moi, on travaille à la formation du gouvernement, et qu’on l’annoncera en fin de journée, ils auront de quoi tenir. Et mon entourage a fait savoir aussi que « jeudi ou vendredi », je serai au Mali avec les militaires français. Pour l’instant, selon mon entourage, tout va bien.