Salut, c’est moi, Emmanuel Macron. Halala, depuis la dernière fois que je me suis adressé à vous, bon peuple des Jours, il s’en est passé des choses… Je vous passe les détails pour aller à l’essentiel : le handshake. Ben oui, ma poignée de main avec Donald Trump. C’était au sommet de l’Otan, jeudi, ça n’a pas pu vous échapper. L’autre, là, avec ses cheveux fluo, il a cru qu’il allait me la faire à l’envers avec sa poignée de main, il est connu pour ça : broyer la mimine des chefs d’État pour leur montrer qui c’est le boss. Mais moi, le CEO de la France, on ne me la fait pas : je la lui ai prise, sa main et j’ai serré serré, c’est lui qui voulait la retirer, mais j’ai tenu bon et bref, j’ai gagné. Tout le monde l’a dit : « There’s a new kid in town. » Comme Justin Trudeau, le Premier ministre canadien qui avait lui aussi battu Trump au handshake, un autre beau gosse, comme moi, le monde nous appartient, à nous les BG ! L’axe des BG ! Comment ? Quoi ? Les journalistes ? Dites-donc, vous croyez que j’ai que ça à faire, parler aux journalistes ? Maintenant, on parle pour moi, Emmanuel Macron, ou plutôt « le président de la République », c’est comme ça que j’apparais dans la bouche de ceux qui portent ma parole.
Eh oui, on en est là. Et comme nos confrères, aux Jours, en ce moment, on tachycarde sévère. À la rubrique « interviews » du site de l’Élysée, angoisse : « Aucun résultat trouvé ». À celle, voisine, des conférences de presse, détresse : « Aucun résultat trouvé ». Mais comment les journalistes que nous sommes vont-ils survivre sans que le nouveau président de la République ne s’adresse à eux ? Vingt jours qu’il a été élu ; vingt jours qu’il ne nous a pas parlé. Il paraît – mais c’est une rumeur, on n’a pas le temps de la vérifier, on ne voudrait pas rater un appel du Président au cas où – que Franz-Olivier Giesbert a planté sa tente Quechua à la porte du Coq, celle réservée aux entrées et sorties à peu près discrètes de l’Élysée, dans l’espoir de retrouver son statut de « visiteur du soir », celui dans l’oreille duquel murmurent les présidents de la République successifs.
Car Macron, rien. Nibe. On commence à le savoir, monsieur ne pratique pas le « off ». Pas de causerie officieuse qui soutiendra ensuite, à la façon de François Hollande, toute l’industrie du livre, ou viendra peupler les articles de presse d’indiscrétions sourcées « dans l’entourage du Président », « au plus haut sommet du pouvoir » ou « du côté de l’Élysée ». L’un des communicants de Macron, Benjamin Griveaux, le théorisait même récemment sur Radio J, promettant que son champion allait en finir avec « les mauvaises habitudes qui ont été prises ces dix dernières années, avec la multiplication des “offs” ». Nan mais il a qu’à nous traiter de courtisans, çui-ci, pendant qu’on y est.
On sent déjà monter votre indignation mais gardez-en un peu car ce n’est pas tout : môssieur Macron nous trie ! De son premier voyage officiel, c’était le vendredi 19 mai au Mali pour visiter l’armée française, il a prétendu évincer les journalistes politiques afin de faire de la place aux spécialistes de la chose militaire. Vous allez voir qu’il va un de ces jours abandonner l’un d’entre nous sur une aire d’autoroute.
Et pourtant, il parle. Il est même sur toutes les lèvres, Emmanuel Macron : celles de ses porte-parole, donc. Rien que ce mercredi, c’était ventriloquie en Macronie : le compte-rendu du conseil des ministres par Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, et un « briefing off » en vue des sommets de l’Otan – celui du handshake, jeudi à Bruxelles, donc – et du G7, sis en Sicile depuis ce vendredi.
Oui, un « briefing off » alors qu’on vient précisément de vous dire que Macron ne pratiquait pas le « off ». Faut croire que c’est pas pareil. Mais c’est ainsi qu’est rédigé le mail : « Invitation au briefing off relatif au déplacement du président de la République à l’Otan et au G7. » On comprend l’intérêt : il s’agit, pour les conseillers du Président, de présenter le programme de la virée élyséenne une seule fois à cent journalistes plutôt que cent fois à un seul journaliste. Et c’est « off » parce que, de tradition, le conseiller s’efface. Ça se déroulait à l’hôtel de Marigny, une dépendance de l’Élysée, à deux pas du palais présidentiel. Une bonne centaine de journalistes, plus ceux qui, depuis Bruxelles où allait se rendre le lendemain le nouvel élu, assistaient au « briefing » par téléphone.
D’emblée, Barbara Frugier, en charge de la communication internationale d’Emmanuel Macron, annonce la couleur : s’ils doivent reprendre certains des propos tenus dans cette enceinte, les journalistes doivent les sourcer « Élysée ». C’est ainsi que, quelques heures plus tard, évoquant la rencontre à venir avec Donald Trump, LCI a écrit sur son site : « L’Élysée l’a reconnu : le sujet du climat, sur lequel Donald Trump ne s’est pas clairement prononcé depuis son arrivée à la tête des États-Unis […], “sera le plus compliqué” du G7. » Variante dans Le Figaro : « Au G7, “le climat sera le sujet le plus compliqué”, confie-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron. » De même, dans Le Monde : « “Il n’y a pour le moment aucun accord sur un texte, les discussions vont durer toute la nuit de vendredi à samedi”, explique-t-on à l’Élysée. » Eh bien, comme aux Jours, on est des foufous, on peut vous le dire : ce n’est pas « l’Élysée » qui a tenu ces propos-là cités entre guillemets, ni un mystérieux « entourage », mais un homme de chair et de sang, Aurélien Lechevallier, ci-devant conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron.
Tant qu’on en est à outer tout le monde, la séance de ce « briefing off » avait été ouverte par Philippe Étienne, autre conseiller diplomatique de Macron, déroulant l’agenda présidentiel lors de ce sommet de l’Otan et de celui du G7, chacune des rencontres prévues et « les trois sujets » abordés lors du « déjeuner de travail » de jeudi avec Trump. Ce qui permet à chaque média de faire son papier d’avant-sommet, pratique. Et Philippe Étienne de préciser que tel sujet est « très important pour nous » et « notre Président », espérant que les journalistes ne l’oublient pas dans leur compte-rendu. Ainsi, confie l’Élysée aux Jours, « l’effort de défense européen » est « très important » pour le président Macron. On a bon, monsieur Étienne ? On a bien écrit ce que vous vouliez ?
L’autre exercice de ventriloquie macroniste est, il faut bien le dire, assez ingrat. C’est celui auquel se livre Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, depuis déjà deux conseils des ministres : il résume ce qui s’y est dit et répond, dans une magnifique langue de boit brut, aux questions des journalistes entassés dans une salle toute proche de l’Élysée. Encore bizut, le Castaner qui multiplie les lapsus. On a ainsi appris mercredi dernier de sa bouche que « l’État de droit n’est pas un état constant mais ça doit rester un état d’exception » (mais il voulait dire l’état d’urgence, enfin, on espère). D’autant qu’avant de dire « l’État de droit », il a patiné un « étroit de droit » d’étrange facture. Passons pour les lapsus, mais il va devoir bosser un peu, Castaner, et abandonner cette élocution à mi-chemin entre celle d’un gendarme rédigeant un procès-verbal et la voix synthétique d’un GPS : « Je crains de vous faire la même réponse qu’antépénultièmement. »
Mais que voulez-vous, c’est son job : Christophe Castaner rapporte. « À plusieurs reprises, le Président a souligné que la cohérence ne veut pas dire l’uniformité » ; « Il a pu terminer son propos en réaffirmant ce plaisir, cette fierté de voir chacun des visages qui était autour de cette table avec une invitation : “Ne changez pas” » (on se croirait dans Loft Story) ; « Il nous a appelés collectivement à jouer collectif » (ah, là, ça fait plutôt joueur de foot) ; « Je vous cite un propos du Premier ministre : “Si l’État doit être ferme et fort, ses serviteurs doivent être sobres et dignes” » (et vice-versa, non ?).
Journalistiquement, l’intérêt de ces séances frise le zéro, on est d’accord. Mais l’intérêt de Castaner est bien sûr de faire entrer dans les têtes les antiennes macronistes : « efficacité », « collégialité », « transversal », « convivialité », et de nouveau « efficace », et « efficace » encore, et « efficace » toujours. Christophe Castaner a conclu son dernier numéro par une adresse aux journalistes : « Je souhaite avoir un échange avec vous, a-t-il commencé avant de doucher tout espoir, non pas pour faire du off. » Non, il veut juste qu’on réfléchisse « à une forme différente que pourrait prendre ce compte-rendu-là ». La contribution des Jours : soyons donc efficaces et, comme on dit sur Twitter, supprime.