Chain Tripping, le septième album du duo américain Yacht, sorti fin 2019, a une particularité : c’est le meilleur du groupe. Ah oui, il a également été conçu à l’aide d’outils utilisant l’intelligence artificielle. Mais on peut tout à fait ne pas le savoir et profiter de ses petites chansons pop bondissantes. Il n’y a rien de vraiment tordu dedans, juste des mélodies un peu eighties qui s’accrochent. Mais, écoute après écoute, on s’aperçoit aussi que ce qui plaît dans ce disque, ce sont ses séquences sonores bizarres cachées dans les chansons. Juste ce qu’il faut pour faire dévier le disque du tout-venant pop. « C’est mon album de Yacht préféré je crois », m’expliquait récemment par téléphone Claire Evans, la chanteuse du duo de Portland, alors que le groupe roulait entre deux concerts à travers la Californie. « Le processus que l’on a choisi nous a forcés à être vulnérables et à faire des choses qu’on n’aurait pas faites si l’on n’avait pas eu cette idée bizarre. » À savoir, se lancer dans l’écriture assistée par IA dans un moment où aucun de ses outils musicaux n’est encore vraiment facile à utiliser, ainsi que je l’expliquais dans l’épisode 2 du Chant des machines.
Il y a deux ans, Yacht a décidé de remettre ses habitudes en jeu. Non pas que le groupe s’ennuyait, Claire Evans et Jona Bechtolt ont régulièrement tenté des choses en dix-sept ans de carrière, que ce soit écrire un hymne satirique à la NSA et reverser tous les profits à l’Electronic Frontier Foundation, qui se bat pour les libertés en ligne, ou lancer une fausse sextape sur internet pour faire sa promo… Chain Tripping est en même temps plus classique et beaucoup plus intéressant pour ce qu’il est : un disque où tous les textes et tous les éléments sonores ont été proposés par une intelligence artificielle. « C’est une technologie qui nous intriguait, continue Claire Evans. Pas juste pour l’utiliser, mais parce que toute la musique créée par IA que l’on entendait manquait d’émotion. On voulait savoir ce que c’est que d’utiliser tout cela quand on est un groupe avec un passé, des fans… Faire un disque qui soit un disque de Yacht dont on serait fier et qu’on pourrait jouer sur scène, c’était ça le défi. »

Yacht a commencé par « briser les 82 chansons » de sa déjà vaste discographie « en petits bouts » : « Ça a été un gros travail pour séparer les mélodies, les lignes de basse, le chant, les percussions, etc. » Toute cette matière, plus « des influences, des choses qui nous parlent », a servi de base à un réseau de neurones qui a en quelque sorte appris à composer à la façon de Yacht.