Le bilan a dramatiquement augmenté en cette deuxième semaine de conflit entre le Hamas et Israël. Au seizième jour, près de 4 400 Palestiniens ont péri
Vingt camions, suivi de dix-sept autres ce dimanche. C’est la toute première lueur d’espoir pour la population gazaouie, bombardée par l’État hébreu depuis le 7 octobre. Des camions remplis de nourriture, d’eau et de médicaments. On y trouve également des kits de traumatologie, des traitements contre les maladies chroniques et du matériel sanitaire. Des biens plus qu’essentiels. Ils sont entrés dans la bande de Gaza via le poste-frontière de Rafah, au sud de l’enclave palestinienne, à la frontière avec l’Égypte, où les semi-remorques palestiniens ont emporté l’aide humanitaire pour la distribuer.
Une paille en comparaison des besoins des Gazaouis. « Il faudrait au moins 100 camions par jour », a fait savoir l’ONU. Léo Cans, chef de mission à Médecins sans frontières pour la Palestine, rappelle qu’avant le conflit, 300 à 400 camions entraient chaque jour dans la bande de Gaza. Par ailleurs, la porte du terminal de Rafah a été refermée quelques heures à peine après le passage du premier convoi. Et ce, en dépit des appels de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à permettre « un accès humanitaire durable et ininterrompu par le poste-frontière de Rafah ». Mêmes messages martelés par le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, lors du Sommet pour la paix organisé ce samedi au Caire, en Égypte. « Il faut agir maintenant pour mettre fin au cauchemar », et mettre en place un « cessez-le-feu humanitaire » pour les quelque 2,4 millions de Gazaouis, « au bord de la catastrophe ».
C’est peu dire qu’ils l’attendent, cette aide humanitaire. Abou Mounir, père de six enfants, est toujours réfugié dans le centre de la bande de Gaza. « Les maisons au sud de Gaza City sont prises d’assaut par des centaines de milliers de déplacés depuis vendredi 13 octobre. Il y a des dizaines de personnes dans la plupart d’entre elles ! Et les écoles sont encore plus bondées, raconte l’homme de 49 ans. C’est le chaos. Ça rappelle la “Nakba” de 1948 »
Ahmed, quant à lui, insiste : c’est l’essence, le besoin premier. « C’est grâce au carburant qu’on fait tourner les générateurs électriques pour les hôpitaux. C’est ce qui permet aux gens reliés aux machines de vivre et aux ambulances d’intervenir. La plupart des hôpitaux annoncent qu’il leur reste moins de 24 heures de carburant. Après ils seront à sec, ce sera système D pour fonctionner. » Parmi les vingt camions d’aide entrés samedi dans la bande de Gaza, pas un seul ne transportait de carburant.
Là, pour atteindre une personne du Hamas, ils sont prêts à éliminer un pâté de maison entier.
En ce dimanche 22 octobre, ni Assya, ni Abou Mounir, ni Ahmed n’ont vu la couleur de cette aide humanitaire. Tous les trois se trouvent entre la région centre et le nord de la bande de Gaza, relativement loin de Rafah. Assya, qui est toujours réfugiée à Gaza City avec ses trois fils, ses deux sœurs, son frère ainsi que tous leurs enfants, doute de recevoir quoi que ce soit : « À Gaza City et dans le nord, ils ne distribuent pas pour l’instant. Et franchement, comment ils vont arriver jusqu’à nous ? Les rues, les routes, tout a été bombardé. En plus, les Israéliens disent que si les gens du Hamas y touchent, ils arrêtent tout. Mais comment sauront-ils si ce sont des gens du Hamas ou pas qui récupèrent les aides ? », s’inquiète la mère de famille.
Ahmed, resté au nord de la bande de Gaza, lui, ne voit presque pas l’intérêt de cette aide humanitaire. Ce qu’il veut, c’est un accord de paix. « Pour la nourriture, on a encore des conserves. C’est pas la faim qui nous tuera mais un bombardement. La mort est partout autour de nous. La maison d’en face a été détruite. Pareil pour la maison derrière chez moi. Lors des précédentes guerres, ils visaient une maison pour cibler une personne recherchée. Mais là, pour atteindre une personne du Hamas, ils sont prêts à éliminer un pâté de maison entier, à tuer des dizaines de personnes. C’est barbare. » En deux semaines, il a perdu tout espoir. « J’ai quatre enfants, ils ont 7 ans et demi, 6 ans, 2 ans et 5 mois. Je les regarde tous les jours, et je me dis… » Il s’interrompt, la gorge serrée, et souffle dans le téléphone qu’il change de pièce : « Je n’ai pas envie de pleurer devant eux… » « Je les regarde tous les jours et je me dis qu’ils vont mourir… Ce sont des enfants, innocents, et après tout, peut-être que la mort leur sera plus douce que cette vie de terreur. »
Il faut dire que durant cette deuxième semaine du conflit, la bande de Gaza a vécu un épisode particulièrement douloureux. Acmé dans l’horreur, mais aussi dans la tension entre les deux camps, et dans la guerre de communication que se livrent Israël et le Hamas : un tir sur l’hôpital Al-Ahli Arab. Mardi 17 octobre, vers 19 heures, un missile atterrit sur le parking de l’hôpital, dans l’enceinte même de l’établissement situé au centre-ville de Gaza City. À l’intérieur, les médecins de Médecins sans frontières doivent quitter le bloc opératoire en catastrophe. « Nous étions en train d’opérer, il y a eu une forte explosion et le plafond est tombé sur la salle d’opération », a déclaré le Dr Ghassan Abu Sittah. À l’extérieur de l’hôpital, c’est un carnage. Les secouristes interviennent, lampes de poche à la main, dans le noir total. Puis sur les photos prises par les journalistes, et les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, on voit de nombreux corps, dans des draps blancs et des sacs mortuaires noirs entassés.
Face à l’horreur, l’heure n’est pas au deuil mais au début d’une bataille de communication entre Hamas et Israël. D’abord sur le nombre de victimes. Le Hamas affirme que 471 personnes sont mortes. Les services de renseignements européen et américain, évoquent eux une fourchette bien plus basse, allant de quelques dizaines à 300 victimes maximum. Surtout, le Hamas et l’armée israélienne se rejettent la responsabilité de cette frappe. Immédiatement, l’organisation islamiste au pouvoir dans la bande de Gaza dénonce l’État hébreu : « Israël a délibérément bombardé l’hôpital Al-Ahli Arab. » Absolument faux, démentent les Israéliens. « Il n’y a pas eu de tirs de l’armée depuis la terre, la mer ou les airs qui ont touché l’hôpital », a affirmé le général Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne. Qui diffuse également un enregistrement audio où, affirme-t-elle, on entend deux membres du Hamas évoquer la responsabilité du Jihad islamique palestinien. « Mensonges », rétorque ce groupe armé allié du Hamas. « Cet horrible massacre a été perpétré à l’aide d’un arsenal militaire américain dont seul l’occupant [Israël] dispose », affirme le Hamas au lendemain du drame.
Cependant, plusieurs caméras filmant la bande de Gaza à ce moment, donnent quelques indications. Sur les images d’une vidéo de la chaîne Al Jazeera et de vidéosurveillance, on constate qu’il n’y a pas trace de bombardement aérien mais plutôt de projectiles tirés du sud vers le nord. Dans la minute qui précède l’explosion, des projectiles sont effectivement tirés depuis Gaza vers le nord, en direction d’Israël. Impossible de dire de quel type de projectile il s’agit. Les images des conséquences de l’explosion montrent un cratère de moins d’un mètre de diamètre devant l’hôpital. Ce qui semble petit pour une bombe aérienne israélienne, selon les experts militaires. Toujours est-il que l’absence d’accès au terrain empêche d’analyser les débris et d’avoir des certitudes sur sa nature ou son origine.
Depuis le début de cette guerre, il n’y a aucun respect des structures médicales.
Pour Léo Cans, chef de mission MSF pour la Palestine, ce tragique événement de l’hôpital Al-Ahli Arab n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg. « Avant ça, une bombe est tombée à l’intérieur de l’Indonesian Hospital à Gaza City et à l’hôpital Al-Nasser, à Khan Younès [dans le sud de Gaza], un missile a ciblé une ambulance en train de sortir un patient. Depuis le début de cette guerre, il n’y a aucun respect des structures médicales », insiste-t-il.
Et c’est ce moment, en pleine guerre
Mais le président américain était surtout venu avec deux objectifs en tête : débloquer de l’aide humanitaire pour les Gazaouis et savoir quels sont les objectifs des Israéliens, une fois la guerre finie. Après d’âpres négociations, Benyamin Netanyahou a donc cédé sur le corridor humanitaire. Permettant aux camions du Croissant rouge égyptien de pénétrer dans la bande de Gaza. Le Premier ministre israélien avait pourtant promis qu’aucune aide ne passerait vers l’enclave palestinienne tant que le Hamas retiendrait des otages israéliens. Cette aide humanitaire est donc soumise à conditions. Elle ne transitera que via l’Égypte, par le point de passage de Rafah et ne doit aller qu’aux civils, situés dans le sud de la bande de Gaza. Si le Hamas venait à mettre la main sur cette aide, tout s’arrêterait, a menacé Benyamin Netanyahou.
Conduire une guerre exige d’être clair quant aux objectifs, tout en évaluant honnêtement si le chemin emprunté permet de réaliser ces objectifs.
Quant au deuxième objectif du président américain, il est resté inachevé. « Quel est votre plan, après la guerre ? », a-t-il questionné le Premier ministre israélien et son cabinet de guerre. Sous-entendu, que prévoyez-vous après l’invasion terrestre de Gaza, préparée par Israël depuis des jours maintenant ? Pas de réponse claire. Alors Joe Biden a lancé cet avertissement : « Justice doit être rendue. Mais attention, ne vous laissez pas submerger par la haine, a-t-il prévenu. Après le 11 Septembre aux États-Unis, nous étions en furie. Et alors que nous recherchions la justice, laquelle a été rendue, nous avons commis des erreurs. Conduire une guerre exige d’être clair quant aux objectifs, tout en évaluant honnêtement si le chemin emprunté permet de réaliser ces objectifs. »
La visite de l’allié américain, soutien de toujours, a pris des allures de mise sous tutelle d’Israël. Les États-Unis, après avoir stationné deux de leurs porte-avions dans l’est de la Méditerranée dès le début de la guerre, redoutent plus que jamais une régionalisation du conflit. En particulier avec le Liban, où des échanges de tirs ont lieu entre Israël et Hezbollah, et l’Iran. Signe de cette surveillance renforcée, dès son arrivée en Israël le dimanche 15 octobre, Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, a élu domicile au quartier général de l’armée à Tel-Aviv. Dans ce bunker, les Israéliens lui ont installé son propre bureau. Et à chacune des décisions du cabinet de guerre, Benyamin Netanyahou en personne lui présente la déclaration rédigée en anglais, afin de la lui faire relire et corriger au besoin.
Israël a-t-il entendu l’avertissement de Washington ? L’armée israélienne a en tout cas fait savoir ce samedi 21 octobre au soir qu’elle intensifiait encore ses frappes sur la bande de Gaza pour passer à la prochaine étape de l’opération « Glaives de fer » : l’invasion terrestre de l’enclave palestinienne, pour en chasser le Hamas. « Nous allons le faire de manière professionnelle », a promis samedi soir devant ses troupes le chef d’état-major de l’armée israélienne, Herzi Halevi.