La discussion est animée dans le fond du bus 402, sur la portion qui traverse le quartier de la Grande Borne, à Grigny, en Essonne. C’est la fin d’après-midi, Ethan et Mamadou rentrent du lycée et il s’avère que Mamadou a un sérieux souci. Ou plutôt deux : Wendy et Amalia. La première qui l’avait quitté il y a peu l’a rappelé alors qu’il s’est depuis mis avec la deuxième. « Des problèmes à foison », résume-t-il en se prenant la tête. Bien ennuyé pour son ami, Ethan acquiesce sans trop savoir quoi lui conseiller. Aussi, quand on vient avec nos gros sabots leur demander ce qu’ils pensent des rixes entre ados qui meurtrissent l’Essonne depuis des années et s’ils en ont connaissance, les deux jeunes gens de 15 ans cambrent le sourcil. Oui, forcément, ils en ont entendu parler. Mais non, désolés, pas envie de s’étendre. « Des fois, il y a des embrouilles », concèdent-ils avant de nous éconduire poliment et de descendre. On leur emboîte le pas, de toute façon on est arrivé à La Treille, le terminus à Viry-Châtillon. Et sous le regard un peu surpris du conducteur à qui l’on a acheté un ticket peu avant, on se presse de l’autre côté pour prendre le 402 en sens inverse, direction Terminal David Douillet. Une grosse heure de route et cinq villes plus loin.
Cette semaine, Les Jours sont montés à bord de cette ligne de bus qui relie donc Viry-Châtillon au Coudray-Montceaux en passant par Grigny, Ris-Orangis, Évry-Courcouronnes et Corbeil-Essonnes. Prendre le 402 d’un bout à l’autre, c’est croiser les hautes constructions des années 1970 qu’on n’oserait plus faire aujourd’hui. Au sud, les Pyramides, à Évry-Courcouronnes, un quartier fait de blocs posés en escaliers, de dalles et de terrasses fatiguées. Au nord, Grigny 2, dont les tours bétonnées, érigées au milieu de rien ou presque, forment l’une des plus grandes copropriétés d’Europe, l’une des plus endettées aussi. Mais à travers les vitres du bus, les paysages alternent surtout entre des rues arborées, des pavillons plus ou moins coquets et nombre de quartiers couverts d’immeubles réhabilités, aux couleurs pastel et à taille plus humaine, policés par l’Agence nationale de rénovation urbaine qui, depuis vingt ans, a déversé plus d’un demi-milliard d’euros dans le bâti en Essonne.
Côté pile, le 402 permet ainsi de désenclaver des cités désertées par les services publics, et fluidifie la vie et les déplacements de ses habitants. Côté face, il facilite les affrontements inter et intraquartiers.