Laurent-Franck Lienard soupèse la balle en caoutchouc, commente – « regardez cette merde ! » – et la balance contre le mur de son bureau. Elle rebondit à l’autre bout de la pièce. Par ce geste faussement spontané, l’avocat illustre l’une de ses marottes : le flashball est une arme si imprévisible qu’elle devrait être interdite. Pour un policier, le risque est grand de blesser – et, en conséquence, d’être traduit devant la justice. Depuis presque vingt-cinq ans, Laurent-Franck Lienard s’est spécialisé dans la défense des forces de l’ordre, à l’audience et en dehors. Il a pris fait et cause, mi-octobre, pour un mouvement de « policiers en colère » débarrassé du carcan syndical. Les fonctionnaires insistent, entre autres, sur leur crainte d’être poursuivis quand ils font usage de leurs armes.
Cette semaine, l’avocat plaide au tribunal correctionnel de Bobigny, devenu emblématique des tensions entre policiers et magistrats (lire l’épisode 2, « Descente de flics au tribunal »). Il assiste Patrice L., gardien de la paix à la BAC de Montreuil, l’un des trois policiers jugés pour avoir blessé six manifestants au flashball, le 8 juillet 2009. Après sept ans d’enquête, la juge d’instruction a conclu que « le projectile de flashball qui a causé à Joachim Gatti la perte de son œil droit a pour origine certaine et exclusive l’un des deux tirs effectués volontairement par Patrice L. ». Mais Laurent-Franck Lienard se prépare à soutenir que le tir peut venir d’ailleurs. « Mon client sait qu’il a tiré deux fois, mais il n’a pas vu d’impact. Il me dit que s’il avait touché Gatti, il l’aurait vu. »
Au premier jour d’audience, Patrice L., en chemise blanche impeccable et cravate, les cheveux argentés, maintient qu’il ne « [s’]explique pas » comment Gatti a pu tomber, être relevé par d’autres manifestants puis secouru par les pompiers sur la place du marché de Montreuil, sans qu’il le voie. « Normalement, la personne reçoit le projectile et acquiesce (sic) le coup », affirme le prévenu. « Si j’avais vu un blessé, je l’aurais pris en charge », comme le prévoient les textes, répète-t-il. Interrogé par son avocat en fin de journée, il persiste et signe : « Je n’avais rien à gagner à fermer les yeux. »

Dans son cabinet de Pontoise, trois jours avant l’ouverture du procès, Laurent-Franck Lienard éprouve ses arguments.