Théo se tient très droit, ses mains tremblent un peu sur la table, sa voix reste mal assurée pendant une partie de l’entretien. Son père, assis à côté de lui, reste silencieux tant que son fils témoigne. Théo a 15 ans, un visage très fin, quelques taches de rousseur, des cheveux épais. Il a été arrêté jeudi 28 avril à Marseille après une manifestation, a reçu des coups, des insultes, des menaces, puis a passé une nuit en garde à vue. Avec des adultes, ce qui est interdit. Xavier, son père, travailleur social, n’a pas réussi à déposer plainte. Il a demandé que l’on change le prénom de son fils dans cet article.
Cela ne fait pas très longtemps que Théo manifeste. « Avant, cela m’était arrivé deux ou trois fois d’accompagner papa ou maman, dit-il, mais c’est le 17 mars que j’ai manifesté seul pour la première fois. J’avais entendu parler au lycée de la loi El Khomri, j’ai lu des résumés de la loi, j’en ai discuté avec ceux qui étaient plus informés, avec mes parents. Mon meilleur ami m’a dit qu’il y avait aussi des trucs positifs dans cette loi mais il y a des choses qui ne me plaisent pas. » Il cite le nombre d’heures des apprentis
, les licenciements économiques autorisés pour les entreprises après trois trimestres déficitaires
…
Jeudi dernier, Théo participe au blocage de son lycée des quartiers sud de Marseille, un établissement assez bobo
résume-t-il, avant de rejoindre la manif. Il fait partie des plus mobilisés, se retrouve souvent en tête de cortège, comme ce jeudi, et essaie de canaliser ceux qui débordent. Là, il y avait 200 personnes devant la banderole, dont 150 environ que la police appelle des “casseurs”. Moi, je n’aime pas utiliser ce mot-là.
Comment les appelle-t-il alors ? Il réfléchit. Des gens qui n’ont pas tout compris. Qui veulent montrer qu’ils sont forts, par rapport à leurs potes et à la police.
Il essaie de convaincre tout le monde de venir derrière la « banderole renforcée ». Tu veux qu’on se tape ?
, lui demande un garçon. Il n’insiste pas.

Arrivés sur un large boulevard, pas très loin du lieu de dispersion, les lycéens changent d’itinéraire, parce que les manifs sauvages font plus de bruit que les manifs normales
. Les CRS les attendent, se mettent à lancer des grenades à tir tendu
. Un syndicaliste sera blessé, un camion abîmé. Théo se met devant avec le service d’autodéfense
, derrière de grands boucliers. Il shoote avec les pieds
dans les capsules de gaz pour les déplacer vers les caniveaux.