Et hop, magie… Manuel Valls a remplacé François Hollande ! Depuis quelques jours, le Premier ministre est candidat à la présidentielle à la place de l’actuel chef de l’État. Hollande est lâché par les siens. C’est fini pour lui, ou presque. Enfin, tout ça n’est pas complètement sûr. Mais bon, faut voir… Radio, télé, internet, presse écrite, partout ce même sujet, ces mêmes (faux) débats qui tournent en boucle sur la présidentialisation en cours du Premier ministre.
Vous avez raté le début ? Voici un petit retour en arrière. Le 12 octobre dernier sort un livre, Un président ne devrait pas dire ça (Stock, 2016), dans lequel François Hollande multiplie les propos on va dire iconoclastes – sur les magistrats, l’islam, ses (ex-)amis politiques, sa vie privée, les footballeurs de l’équipe de France, etc. Embarras général et début de polémiques, il faut vite éteindre l’incendie.
Mais certains, comme Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, se fâchent. Enfin, à leur manière. C’est à dire en s’interrogeant dans un entretien au quotidien La Provence sur la volonté du chef de l’État de briguer un nouveau mandat. Dans le même temps, « des proches » (évidemment jamais identifiés) de Manuel Valls lâchent des « confidences » (c’est bon, ça). Ils affirment en substance à plusieurs journalistes que leur mentor se tient prêt à être candidat au cas où Hollande renoncerait. La mèche est allumée.
Et voilà comment surgit pour quelques jours ce que politiques, communicants et journalistes appellent depuis quelques années une « séquence ». La séquence « Valls président », en l’occurrence. Nous sommes d’accord, il s’agit de l’écume de la chronique du pouvoir : rien de tout cela n’est réel. Mais tous les ingrédients de la bonne histoire sont là, avec dramaturgie potentielle à la clé, Valls-le-loyal lâche Hollande-la-lose, décidément trop nul. Mais un Valls qui n’est pas pas comme Brutus-Macron dans la trahison, hein. Un Valls qui serait légitime pour se poser en recours au cas où. Un Valls homme d’État qui fait don de sa personne pour sauver la gauche de gouvernement. Fin de règne crépusculaire et autres poncifs du genre. C’est très beau… Et voilà l’affaire empaquetée, parée pour l’emballement général : « les lignes sont en train de bouger », il y a du nouveau… Vite, alimenter la bête avec des petites phrases ciselées et assassines, des propos forcément « off », mettre de la tension… Je connais bien le genre pour l’avoir beaucoup pratiqué. J’ai même été donneur d’ordres pour ce genre de (non) sujet.
Car il s’agit bien d’une pure construction. Hors sol et hors de toute réalité. Où les faits avérés sont complètement secondaires. Ils ne sont d’ailleurs même pas le sujet. Le sujet, c’est l’histoire qu’il faut dérouler, alimenter pour, dans un deuxième temps, l’analyser. Et passer à autre chose.
En attendant, il faut valider l’histoire, la lester, lui donner du crédit l’espace de quelques jours. Avec d’abord les indispensables sondages. Dans une même enquête, l’Ifop a, par exemple, testé le souhait des Français de voir François Hollande se représenter et sa légitimité à s’exprimer fréquemment devant des journalistes. Parfait : les deux résultats à ces questions sont calamiteux pour lui. Les chiffres viendront alimenter les démonstrations. Et peu importe s’ils reposent sur les habituels biais sondagiers, si les questions posées ne correspondent absolument pas aux priorités des sondés. Les chiffres sont indispensables pour faire sérieux dans les talks et pouvoir ainsi s’exprimer au nom « des Français », mais si, vous savez, « les Français ». Politologues, représentants d’instituts de sondages ou de think tanks, journalistes politiques, envoyez la musique ! Nous sommes là au cœur du bruit médiatique. Du bruit qui perturbe en permanence l’attention et peut donner envie de se boucher les oreilles. Toujours dommageable dès lors qu’il s’agit de politique.