Le streaming musical serait-il parvenu à un moment-clé de sa jeune histoire, celui où il se démultiplie pour donner enfin leur chance à toutes les musiques ? Ces derniers mois, je n’ai fait qu’entendre cette complainte dans la bouche d’artistes et de maisons de disques aux profils très variés : ce monde-là n’est pas le nôtre ; on veut bien faire tous les efforts pour y prendre part, mais pour y faire quoi ?
Alexandre Cazac est le cofondateur du label InFiné (Rone, Labelle, Bruce Brubaker…) et dirigeait auparavant le bureau parisien du pilier de la musique électronique britannique Warp. Il connaît très bien le monde disparate des musiques de niches, celles qui s’agrègent dans ce qu’on appelait auparavant l’« underground » : tout ce qui n’est pas visible de tous mais mérite tous les efforts. La myriade d’artistes et de labels qui forment la grande masse vivace de l’écosystème musical. Pour lui, les années 2000, celles de l’implosion de la vieille économie du disque, ont dans un premier temps été une chance incroyable pour les maisons de disques indépendantes, qui ont commencé par « largement profiter » de l’accélération des échanges de musique.

À l’opposé d’un monde de rares magasins où beaucoup de disques ne trouvaient pas leur place, internet a créé en quelques années une circulation permanente et facilitée entre les artistes et les auditeurs. « Comme les labels indés étaient plus petits, ils ont réagi plus vite et d’un seul coup on arrivait à toucher la planète entière en un coup de clic », continue Alexandre Cazac. Le champ des possibles s’est alors multiplié par dix, par cent. « On a profité de MySpace, de SoundCloud, de Spotify… De tout ! Puis, petit à petit, tout ce nouveau monde a été repris en main par les logiques des majors et on s’est retrouvés hors jeu. On sent bien qu’on n’est pas traités exactement au même rang aujourd’hui. »
Certes, le streaming a achevé de démultiplier les possibilités pour les musiques les moins connues. Désormais, elles peuvent être accessibles dans le monde entier, être écoutées partout. Mais le mythe s’arrête souvent là et rares sont les petits artistes signés sur de petits labels qui profitent à plein du fantastique tremplin que sont Spotify ou Deezer. Ce sont les trois majors et les plus gros labels indépendants (Pias, Because et Wagram pour la France) qui squattent le très gros des playlists (lire