Il y a peu, j’ai demandé à un jeune étudiant – il a 21 ans – de me laisser fouiller dans les applications musicales installées sur son téléphone. Il y en avait quatre : Spotify, Soundcloud, YouTube et un lecteur de MP3. Je ne voulais pas voir ce qu’il écoute, mais comment il écoute, et le constat était évident en dix secondes : un peu d’albums, beaucoup de morceaux isolés, énormément de playlists. Cette rapide expérience illustre bien le mouvement tectonique qui est en marche partout dans la musique numérique : l’album, le format roi depuis les années 60, est en train de se faire piétiner par une meute désordonnée lancée à toute blinde.
Une playlist, c’est un agencement vertical de la musique, un titre après l’autre jusqu’à l’infini. Elle n’a d’autre logique que celle qu’on lui attribue : elle peut aussi bien raconter subtilement une histoire ou constituer le papier peint sonore de la journée d’un internaute. Son élément de base est le morceau, et c’est ainsi que la playlist vient parachever la dislocation de l’album enclenchée par la naissance du MP3 à la fin des années 90, puis amplifiée par le duo iPod + iTunes d’Apple. Elle comble – et alimente – au passage l’ère du zapping, où l’on s’engage moins auprès de la musique que l’on écoute.
Stefan-Eloïse Gras, auteure d’une thèse sur l’écoute en ligne, appelle ça une désarticulation du temps de l’écoute. On plonge dans une mémoire musicale infinie qui est le web, où un morceau est sorti de son environnement traditionnel
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