L’inspecteur « Boucle d’or » de l’antigang se trouvait à bord de la camionnette bâchée le 2 novembre 1979, parmi les quatre policiers qui ont tué Jacques Mesrine, « l’ennemi public n°1 » de la police, au volant de sa BMW porte de Clignancourt. Maintenant préfet à la retraite, parti dans le privé, Jean-Louis Fiamenghi a décidé de se délier du secret entretenu depuis 36 ans, pire que l’omerta à la mode corse
, sur l’identité des tireurs, et donne sa version de l’histoire aux Jours, dans son bureau de chef de la sûreté de Veolia où il travaille désormais.
Sa première rencontre avec « le Grand » remonte au 29 septembre 1973. Il est enquêteur de base à la brigade de répression du banditisme depuis un an, vient d’arrêter en flag’
les petits casseurs d’un marchand de télévisions rue du Faubourg Saint-Antoine, et les conduit au dépôt dans une cour du Quai des Orfèvres. Il croise un collègue de la première brigade territoriale de PJ qui lui apprend la garde à vue d’un certain Jacques Mesrine dans ses locaux du XVIIe arrondissement.
La veille, le bandit renommé et le célèbre commissaire Broussard ont signé une reddition-arrestation avec panache qui les fait entrer tous les deux dans la légende du 36. Localisé dans un appartement rue Vergniaud (XIIIe arrondissement) pour une série de vols à main armée par Robert Broussard, collier de barbe et physique de rugbyman, Jacques Mesrine refuse de sortir les mains sur la tête
et parlemente plus d’une heure avec son adversaire, qui joue sur la fibre militaire – On est tous les deux de la classe 36, on aurait pu être ensemble en Algérie
–, puis accepte de glisser sous la porte sa carte d’identité qui revient avec la mention : C’est bien toi.
De part et d’autre de la porte, les deux pointures se mesurent, ainsi que Broussard l’a raconté dans Commissaire Broussard : mémoires (Stock) :
Mesrine : Hé Broussard, on dit que t’es un dur de dur ?
Broussard : T’es pas mal non plus dans ton genre.
Mesrine : Tu sais que ça m’emmerde de me rendre.
Broussard : Je m’en doute.
Mesrine : J’aimerais vérifier que tu es aussi gonflé qu’on le dit. T’es capable de te présenter seul, sans arme ni gilet pare-balles ?
Broussard : Quand tu veux ! Et toi, t’es capable de sortir sans arme ?
Mesrine : Je suis tout aussi courageux que toi ! Je voudrais que tu gagnes cette arrestation en prenant un risque personnel.
Broussard : D’accord, tu as ma parole. Et toi, quelles garanties tu me donnes ?
Mesrine : Ma parole. On va voir celui qui va se dégonfler.
Broussard : Il n’y en aura aucun.
Et voilà le commissaire Broussard, seul, le blouson de cuir dézippé, les bras écartés face à la porte qui s’ouvre sur le Grand, cigare de nabab au bec, torse bombé, poignets tendus pour les menottes, théâtral, mesrinien
selon les mots du chef de l’antigang. Les deux hommes se serrent d’abord la main : Chapeau Broussard, tu trouves pas que c’est une arrestation qui a de la gueule ?
. Et le bandit de faire péter le champagne pour arroser ça. Dans son livre L’Instinct de mort, l’ennemi public
, qui se définit ainsi, salue le geste gratuit
de Broussard qui prenait un risque énorme : sa vie contre la parole d’un tueur
.
Emmené dans les locaux de la première BT (brigade territoriale), le Grand ne comprend pas pourquoi on ne lui fait pas les honneurs du Quai des Orfèvres.