Tiré du lit une nuit de décembre 1975 par un coup de fil sibyllin de l’état-major, le commissaire Riou, qui a alors tout juste 29 ans, enfile son costume-cravate de permanencier de la brigade criminelle pour son premier rendez-vous avec un mort
. Vu sa fonction, nul doute que le trépas est dû à un acte violent. Alors, Patrick Riou se prépare au pire. Il débarque ainsi dans un appartement sombre et vieillot du XVe arrondissement de Paris. Il entre avec appréhension dans le salon où une vision d’horreur lui saute aux yeux : une tête de femme est posée sur un bol, un cigare est fiché entre ses dents, un sourire taillé au rasoir grimace d’une oreille à l’autre. Dans la pièce d’à côté, le buste grand ouvert vomit les intestins jusque dans le vestibule. Totalement sonné
, Patrick Riou ne sait plus s’il s’agit d’un cauchemar hallucinatoire ou de la réalité crue de son nouveau métier.
Dans son uniforme de deuil, cet homme réservé essaie de masquer son trouble à ses subordonnés et se tait, tout comme les inspecteurs qui s’affairent en silence autour des morceaux de corps. Depuis cette nuit de décembre 1975, le commissaire Riou a vu plus de trois cents cadavres au fil des 3 890 journées de sa vie qu’il a passées à la crim’, et d’une certaine façon à peu près autant de nuits
. Sans jamais s’habituer à la camarde, encombrante, dérangeante, toujours là à vous tourner autour
, à refuser de rester sur le paillasson de son appartement et à s’immiscer dans son sommeil.
Devenu commissaire pour surmonter sa timidité, ce fils de résistant breton élevé à la dure a commencé en 1974 à la 9e brigade territoriale (BT) de la police judiciaire, alors basée à Créteil (Val-de-Marne), dans des préfabriqués aussi pourris que les flics, efficaces certes mais violents et corrompus pour la plupart
, écrit-il dans son livre autobiographique.