Elles s’installent dans l’une des cafétérias du campus ; il y fait froid, la pluie sinistre de décembre s’abat sur les vitres. Elles sortent d’un partiel qui, apparemment, leur a ouvert l’appétit : il est 10 h 30, elles s’enfilent bagel, sandwich au fromage ou panini chocolat (chocolat ou Nutella, d’ailleurs ? La question fait l’objet d’une rapide discussion de spécialistes). C’est une petite bande de potes, elles se sont connues à la fac, en première année d’arts du spectacle, et font partie des étudiants de Nanterre dont Les Jours racontent les parcours, depuis le naufrage d’APB, jusqu’à la peur des examens, sur fond de réforme de l’enseignement supérieur adoptée à l’Assemblée nationale ce mardi. Avant tout, ce sont des jeunes femmes de 18 ou 19 ans, joyeuses, mordantes, drôles. Dans le sillage de #balancetonporc et #metoo, nous avons voulu les faire parler du harcèlement sexiste. Une seule d’entre elles demeurera totalement silencieuse pendant toute cette conversation, sans pour autant en perdre une miette. Les autres sont intarissables.
Nelly, Mélissa, Alice et Carla s’écoutent, surenchérissent, se coupent la parole, se marrent, s’indignent. Le harcèlement, ou disons sa probabilité, fait totalement partie de leurs vies : elles en ont intégré la menace, la prennent en compte dans leur vie quotidienne, notamment lors de leurs déplacements, dans la rue ou les transports. Pour elles, cette pression s’exerce principalement dans l’espace public. Une contrainte qui limite leur liberté à elles, pas celle de leurs frères ou de leurs (petits) copains qui, à écouter les étudiantes, ont rarement conscience de cette réalité. La discussion commence au quart de tour, chacune sait intimement de quoi il retourne.
Tu vois que c’est pas pour un compliment, tu vois que c’est sale. Le mec, je le connais pas, il ne m’a pas demandé mon prénom et il me parle de mon cul. C’est malsain.
Les filles font la part des choses entre le harcèlement de rue et la drague, entre le compliment et « le mec qui veut faire du sale ». Elles n’ont pas envie de voir « tous les mecs comme des violeurs, des pervers ». Alice, silhouette fluette et bandeau clair dans les cheveux, l’une des plus expansives, ne veut pas faire de généralités.