Il y a cinquante ans, l’histoire leur mordait la nuque. Là, c’est plutôt le froid. Dans l’allée principale de la faculté de Nanterre, vaste corridor extérieur, les étudiants pressent le pas. Une petite grappe de militants, tracts à la main, alpaguent ceux qui passent. Il est 9 h 30, un matin de mars frigorifique. Une banderole a été déployée : « Devaquet est mort, enterrons la sélection, retrait du plan étudiant. » Une autre proclamera : « Si la fac augmente ses prix, les pavés seront gratuits. » Les étudiants les plus mobilisés veulent préparer leur 22 mars à eux. Ce jeudi, manif nationale et grève sont programmées. Cela tombe exactement le jour anniversaire de l’occupation d’une tour administrative de la fac et, dans la foulée, de la naissance du mouvement nanterrois précurseur de Mai 68.
Sur le campus, certains veulent y voir un « alignement de planètes » miraculeux. Matthieu, un habitué des rassemblements politiques sur la fac, me glisse : « 68, tout le monde a envie d’en faire un remake, on attend tous les jours le Grand Soir », même si lui n’y croit pas trop (« Un peu trop messianique, non ? », lance-t-il avec un sourire désabusé). À côté, une fille sonde son voisin : « Tu rentres chez toi ? » « Je rentre, lui confirme le garçon, j’ai pas cours. » Il met son casque audio sur les oreilles et tourne les talons en direction du RER, indifférent à l’agitation. Il n’ira pas à l’AG prévue ce matin. Depuis 1968, l’intérêt pour la politique semble s’être en partie évaporé.
La réunion se tient dehors, malgré la température.