Milena n’aimait pas l’école et a raté son bac. Ludivine était une lycéenne appliquée. Hema stresse déjà pour ses partiels. Lou-Anne a des courbatures après plusieurs heures de sport. Sarah, elle, attend toujours une place dans la filière qui lui permettrait de devenir kiné. Antonin s’acclimate. Ces étudiants sont inscrits en première année à l’université de Nanterre (Hauts-de-Seine), d’où Les Jours racontent Les années fac. Ils n’ont pas toujours atterri dans la discipline de leur choix. Mais les voilà étudiants. Les premiers jours, les amphis sont souvent bondés. Pas encore habitués aux lieux, ou à leurs emplois du temps, ils cherchent encore leurs salles de TD (travaux dirigés), tâtonnent sur leurs prises de notes, et découvrent l’autonomie. « On s’imagine tous lâchés dans la fosse aux lions », avoue Milena.
J’avais croisé Milena Sadock à une AG. Silencieuse pendant toute la réunion, elle avait suivi d’un œil bienveillant les échanges entre des syndiqués ultrapolitisés et des étudiants peu habitués à la prise de parole en public. Ensuite, elle avait fait partie du cortège d’étudiants partis ensemble de Nanterre pour rejoindre en RER la manifestation contre la réforme du Code du travail, à Bastille. Sur le chemin, elle m’avait glissée qu’au lycée elle était atteinte de phobie scolaire et qu’elle avait arrêté en première. Cette année, elle est inscrite en première année en histoire de l’art. Je la retrouve quelques jours après, curieuse de savoir comment l’ex-décrocheuse vit sa première année d’études supérieures.
Milena se roule une cigarette, ses longs cheveux châtains balaient son dos. On s’installe dehors, sur des marches, protégées des gouttes de pluie par un auvent. L’étudiante trimballe avec elle un livre de Maurice Rajsfus sur les bavures policières. Elle a 21 ans. Elle n’aurait pas eu la force de faire des études si elle n’avait passé l’an dernier une équivalence au bac, ici, à Nanterre. Des cours très encadrés. Du coup, elle connaît la fac. « L’an dernier, j’avais téléchargé un plan du campus. Là, je suis plus familière, je connais les lieux. C’est important car j’ai besoin d’être à l’aise, dans une bulle de sécurité, je sais que le stress peut me monter. » Milena veut réussir à la fac alors qu’elle a échoué à l’école. Du moins, elle se force à « expérimenter ». C’est déjà une victoire.
Je me sens en sécurité dans l’amphi : on est nombreux, je peux me cacher derrière les têtes. Je n’ai pas le gros stress de me dire qu’à n’importe quel moment on va te regarder, te prendre pour cible.
« Cela fait tellement longtemps que je ne suis plus dans le système scolaire que je ne peux pas m’enlever cette image un peu sombre qui y est associée. » Milena se fait, par exemple, un peu violence dans les salles de TD qui ressemblent à des salles de classe.