C’est en travaillant dans un monastère de la région polonaise de Basse-Silésie, en 2019, que Natalia Kepesz a découvert l’existence d’un immense lycée militaire. Photographe polonaise née en 1983, elle connaissait ces écoles, mais celles-ci n’étaient pas aussi populaires qu’aujourd’hui. On ne traversait pas alors tout le pays pour y inscrire son enfant. Depuis 2015 et le retour au pouvoir du parti Droit et justice (PiS, extrême droite), non seulement ces établissements sont très demandés, mais une myriade d’autres organisations proposent des camps ou des clubs pour ados à la sauce militaire. Pendant plusieurs mois, le temps nécessaire pour réaliser un travail de fond délicat et sensible, Natalia Kepesz a visité plusieurs de ces formations militaires. Sa série Niewybuch reçoit le prix Les Jours à l’édition 2021 du festival Les Boutographies de Montpellier, dont nous sommes partenaires.
Natalia Kepesz a vécu en Pologne jusqu’à la fin de son lycée, avant de partir à Berlin. « J’ai eu beaucoup de chance de grandir en Pologne pendant une période faste. Dans les années 1990 et au début des années 2000, tout semblait possible. Tout à coup, on pouvait voyager et conquérir le monde », raconte-t-elle. Mais depuis la montée de l’extrême droite et le retour des valeurs très conservatrices, le pays qu’elle a connu lui semble parfois étranger. Elle y retourne régulièrement pour y travailler, notamment sur les questions de déracinement. « En tant que photographe, on m’ouvre des portes. Je préfère aller là où on ne m’attend pas, pour essayer de comprendre le monde par moi-même. » Son écriture visuelle, teintée de mélancolie, a pour inspiration le cinéma polonais, notamment les réalisateurs Krzysztof Kieslowski et Andrzej Wajda. Elle travaille en argentique, ce qui lui permet d’être plus calme, plus lente, de mieux appréhender le monde qui l’entoure, même quand celui-ci est glacial et violent.
Dans Niewybuch, Natalia Kepesz s’est concentrée sur les enfants et les adolescents et ce qu’ils et elles vivent dans ces camps. Les programmes sont chargés, les exercices nombreux. Parfois, divisés en deux groupes, les jeunes doivent jouer les terroristes ou les soldats. Natalia Kepesz raconte : « Les “terroristes” se sont barricadés dans les pièces où ils dorment habituellement pendant le camp. Les plus petits, désignés comme “victimes”, ont été placés dans les couloirs. Les soldats étaient alors censés “libérer” la maison. Le “jeu” a duré toute la journée et les enfants ont pris leurs rôles très au sérieux ! » Certains sont recouverts de faux sang ; les autres doivent monter à l’assaut avec de fusils mitrailleurs factices.
Le travail de Natalia Kepesz, tout en douceur et respect, jamais moqueur, nous confronte pourtant à une grande violence symbolique. « Les adultes confient aux enfants des choses qui ne leur sont pas destinées et qui ne conviennent pas à leur psychisme, pointe-t-elle. Pour moi, c’était très important de garder un contact visuel avec les jeunes. Je voulais, grâce à la connexion entre eux et moi, et entre eux et le spectateur, les libérer de cette expérience. »
Niewybuch, le nom de cette série, peut se traduire par « non explosé », comme un obus planté dans un champ et qui resterait là. Natalia Kepesz garde un œil sur cette jeunesse polonaise comme on garderait un œil sur une munition qui n’a pas encore servi, mi-inoffensive, mi-inquiétante.