Depuis 2016, Eliot Blondet est photographe pour l’agence Abaca, dont « Les Jours » publient régulièrement les images. À 27 ans, il est en charge de la politique et notamment du suivi d’Emmanuel Macron, ce qui l’amène à passer la moitié de sa vie à l’Élysée et l’autre moitié en déplacement. Il vient d’ailleurs de publier un livre avec le journaliste Paul Larrouturrou sur les coulisses du palais présidentiel (« Élysée Confidentiel », éditions Flammarion, septembre 2021). Dans son travail, il a croisé plusieurs fois la route d’Éric Zemmour, qui s’est lancé ce mardi dans la course à la présidentielle et était en meeting ce dimanche à Villepinte (Seine-Saint-Denis). Eliot Blondet était d’ailleurs présent à ce meeting où des journalistes ont été molestés et menacés, explique-t-il sur Twitter. « Les Jours » lui ont proposé d’expliquer son travail en commentant quelques-unes de ses images.
« En faisant le lien entre photographie et journalisme, le rôle d’un photographe d’agence est de traiter de tous les faits d’actualité possible pour fournir des images aux journaux (principalement des magazines dans le cas d’Abaca). Cela va du tapis rouge à la politique, du sport à l’actualité sociale. L’intérêt, c’est justement que l’on s’intéresse à tout. Il faut raconter l’information de manière succincte, précise. Mais j’ai aussi la liberté de produire des photos subjectives, avec un regard d’auteur.
Quand tu es photographe, suivre le PR [le président de la République, ndlr] c’est, d’une certaine manière, raconter l’Histoire. Tes images se retrouveront dans des livres. Tu crées un document qui va être repris partout. Couvrir un déplacement du PR, c’est aussi couvrir ce qu’il voit. Tu profites du déplacement pour photographier le sujet. Ça ouvre des portes pour raconter d’autres récits : l’ingénierie mécanique chez Airbus, les guerres de religion à Mossoul ou les violences faites aux femmes. »
« Cette image a été prise le 28 septembre 2019, lors de la Convention de la droite organisée par les proches de Marion Maréchal. Pour les médias, c’était mal engagé une semaine avant : toutes les accréditations avaient été refusées. Il avait fallu monter au créneau pour avoir le droit de travailler. À l’époque, on y allait surtout pour Marion Maréchal, qui semblait être celle qui allait avoir un destin politique. Zemmour, lui, n’était pas grand-chose.
Le décor était assez étrange : ambiance Caraïbes avec des palmiers en fond de scène, ambiance féérique sur le côté avec des loupiotes. Le tout plutôt mal éclairé. Je m’étais préparé à ce que l’on soit obligé de travailler loin de la scène, donc j’avais pris un 500 mm [une grosse focale pour faire des gros plans, ndlr]. Mais finalement, on a eu le droit de s’approcher. Ça a été une chance pour moi , puisque j’ai profité de cette optique pour faire de très gros plans comme sur cette photo. Pendant le discours d’Éric Zemmour, je regarde les photos que je viens de faire et je me rends compte que j’ai carrément tous les postillons. Oui, car il postillonne beaucoup. Évidemment, je pense tout de suite à du venin. Bien que je sois journaliste, je me suis senti obligé de prendre parti. Si j’envoie cette photo à l’agence, c’est évidemment pour ce crachat, ce venin. Il n’y a aucune ambiguïté. Mon travail de journaliste, c’est bien sûr de montrer le contexte d’un événement, le public, la force des prises de parole par exemple. Mais c’est aussi mon rôle de photographe et d’individu de montrer qu’il crache de la haine. C’est mon point de vue et je l’assume totalement.
Ce n’est pas très satisfaisant, mais cette image a surtout vécu sur les réseaux sociaux, où elle a bien circulé. Il n’y a pas eu de publication dans la presse à ma connaissance. Pourtant, je la voyais bien en une de Libé. Peut-être que les journaux ne prennent pas assez de risque pour publier cette image. On ne va pas se mentir, elle est à charge. »
« En octobre 2021, l’éditeur Robert Laffont me passe une commande pour une nouvelle revue (Deux mille vingt-deux, acte 1 : la fabrique de la présidentielle, publiée le 25 novembre). Ils ont pu organiser une journée de reportage en “embedded”, au plus près d’Éric Zemmour. Mes images doivent accompagner le texte qui ira dans la revue, mais je n’ai pas de consigne précise de la rédaction, j’ai une totale liberté.
La difficulté de ce genre de commande, c’est de ne pas tomber dans la caricature. J’aurais envie de dire que j’y suis allé avec l’idée de le dénoncer (en images, bien entendu), mais ce n’est pas mon travail. J’étais très curieux à l’idée de voir comment ça se passe à l’intérieur de son équipe. J’ai suivi beaucoup d’hommes et de femmes politiques en campagne depuis que je travaille mais je n’ai jamais eu autant d’accès, autant de liberté. Et si j’ai eu autant de liberté, c’est quand même parce que son entourage n’est pas encore très au point. Ces gens ne se rendent pas compte de la possibilité des choses, ils ne se rendent pas compte de tout ce qu’on peut voir. »
« Pendant le reportage, je me suis aperçu que je n’avais pas de photo d’Éric Zemmour et Sarah Knafo en train de marcher ensemble. C’est une photo que je voulais. Sa compagne est avant tout sa plus proche conseillère politique. C’est très important de l’avoir en photo pour raconter l’histoire dans son ensemble. Elle a une vraie influence, il n’a pas 36 conseillers, donc je dois travailler sur leur relation.
Pour une rencontre avec des entrepreneurs, on était dans une énorme bâtisse, un hôtel particulier très beau en plein cœur de Nîmes. Je les ai vus arriver, sans gardes du corps en plus, j’ai déclenché un peu à la volée, assez rapidement. On se projette dans le flou, on est un peu dans la photo du couple qui rentre à l’hôtel le soir. De toute son équipe, Sarah Knafo est celle qui a fait le plus attention à moi. Elle m’a posé des questions, elle a fait son job de conseillère politique. Lui ne m’a jamais adressé la parole. »
« J’avais prévu de demander à son équipe un moment pour faire une séance de portraits posés, d’avoir un temps avec Éric Zemmour. Quand j’ai vu le beau décor de cet hôtel particulier, je me suis dit que c’était le bon endroit. J’ai expliqué à son équipe que le décor était beau, que les plantes faisaient une couleur verte sympa. Le vert, ça marche à tous les coups : les communicants pensent toujours que le vert, c’est le symbole de la gentillesse, du gars sympa.
Avec cette demande, j’ai un objectif caché. En fait dans ce cas précis, les portraits posés ne m’intéressent pas, d’ailleurs je n’en ai gardé aucun. Je profite de ce moment pour déclencher des micro-événements. Ce qui m’intéresse, c’est tout ce qu’il se passe avant, la théâtralisation de la politique. Avant une séance de portraits, tout le monde s’active, il faut vérifier le costume du politique, réajuster son col, faire de la place. C’est dans ces moments-là que j’attrape des choses. En voyant cette photo, on se rend compte que son équipe de communication s’est trompée. Car le photojournaliste prend toujours plus que ce qu’on lui donne. Il faut être un peu faux-cul et malin. »
« La séance photo d’un politique qui travaille avec son équipe dans un train, c’est un classique de la photo politique. Accéder au wagon d’un candidat, c’est un peu le Graal pour un photographe qui suit un candidat. C’est un moment qu’on sacralise beaucoup, nous, les photographes, mais qui est souvent d’une grande banalité. Les premières photos que j’ai prises [des photos où Zemmour rigole avec Sarah Knafo, ndlr] sont les images voulues par l’équipe. Pour rendre ce moment intéressant, il faut adopter une attitude qui permettra de rester longtemps. Il faut se faire oublier, pour voir la personne qu’on suit lâcher prise. Si je suis trop près avec un grand angle, ils vont jouer la comédie un temps, puis me virer. Si je reste plus loin, c’est plus aléatoire, un peu plus bordélique dans le cadre, ça me demande plus de temps, mais je reste tranquille. Dans le cas de cette photo, Zemmour m’a complètement oublié, il redevient naturel. C’est un moment de lâcher prise. Il ne prie pas, il se concentre. »
« Cette photo, c’est la cerise sur le gâteau. On est à la fin de la journée et Éric Zemmour rencontre pour la deuxième fois des jeunes entrepreneurs, pendant à peine dix minutes. Dès que j’ai vu ce tableau avec Bowie, je n’ai pas pu m’empêcher de composer avec. Mais je n’ai pas fait ça gratuitement. J’ai écouté ce qu’il disait à ces jeunes entrepreneurs, et son discours économique n’avait aucun fond. C’était même assez inquiétant de voir tout le monde acquiescer et dire qu’il avait raison, alors que vraiment, il n’y avait aucune idée concrète. Mon travail, c’est de composer avec le décor pour mettre en image une analyse journalistique. Quand j’étais plus jeune, l’extrême droite était encore marginalisée ; maintenant, elle est chez Karine Le Marchand en prime time. »