Tout, ou presque, était prévisible. Ni l’Agence du médicament (ANSM), ni le laboratoire Merck, qui produit le Levothyrox, ne pouvaient ignorer les effets secondaires potentiels liés à un changement de formule du médicament. Pourtant, les autorités de santé n’ont pas su organiser correctement le « switch » commandé par l’ANSM elle-même. Comme Les Jours l’ont révélé, c’est par une lettre en date du 21 février 2012 que le professeur Philippe Lechat, alors directeur de l’évaluation des médicaments de l’ANSM, demande à Merck d’élaborer une nouvelle formule du Levothyrox (lire l’épisode 13 de la série Les lobbyistes). Motif : améliorer la stabilité du médicament. Cinq ans plus tard, lorsque celle-ci est mise sur le marché, à partir de mars 2017, les déclarations d’effets secondaires se multiplient : 23 000 selon les décomptes officiels, arrêtés fin janvier 2018, mais sans doute beaucoup plus de malades impactés. La sécurité autour de cette nouvelle formule a été organisée a minima. L’information est très mal arrivée jusqu’aux médecins et pharmaciens, et donc jusqu’aux malades. Et revoilà l’ANSM sous le feu des critiques, cinq ans après sa réforme post-Mediator qui avait conduit l’agence à se rebaptiser pour tenter de tourner la page et marquer un changement d’époque.
Il n’y a aucune obligation légale, mais la FDA fixe les standards. C’est un peu le juge de paix en matière de sécurité des médicaments. Une agence nationale qui décide de s’en démarquer a plutôt intérêt à être capable de se justifier…
Un retour en arrière s’impose, aux origines du changement de formule du Levothyrox et de la crise sanitaire qui a suivi. Pour cela, il faut traverser l’Atlantique et aller regarder du côté de l’agence du médicament américaine, la Food and Drug Administration (FDA). Dès 2007, la FDA demande aux labos produisant des médicaments à base de lévothyroxine vendus aux États-Unis d’améliorer la stabilité de leurs produits. L’ANSM et Merck s’appuient sur cette préconisation pour justifier le changement de formule en France. Dans son document de communication visant à répondre aux questions des patients, Merck précise que la FDA a rendu cette préconisation obligatoire en 2009 – toujours sur son périmètre d’action, pour les laboratoires commercialisant des produits sur le territoire américain.

Libre ensuite aux agences du médicament de chaque pays de répercuter cette recommandation. Mais elles sont souvent enclines à s’aligner sur l’agence américaine. « Il n’y a aucune obligation légale, mais la FDA fixe les standards, explique Boris Hauray, sociologue de la santé rattaché au CNRS.