Le milieu médical fourmille de liens d’intérêts entre laboratoires et experts des agences de santé. Mais au petit jeu du mélange des genres sur fond de lobbying des géants du secteur, certains se révèlent beaucoup plus problématiques que d’autres. La nouvelle formule du Levothyrox a provoqué une crise sanitaire touchant des dizaines de milliers de malades de la thyroïde, depuis qu’elle a été mise en vente en mars 2017, avec une information défaillante – notamment de la part du laboratoire Merck, qui produit le médicament, comme nous le révélions précédemment (lire l’épisode 12, « Levothyrox : l’incompréhensible retard de Merck »). Ils sont nombreux à réclamer la remise en circulation de l’ancienne formule et à tenter de se procurer des boîtes à l’étranger, en Espagne, en Suisse, en Allemagne… et parfois même jusqu’au Liban. Les victimes de ces effets secondaires se posent cette lancinante question : pourquoi avoir modifié la formule d’un médicament qui soigne quotidiennement et avec succès 2,6 millions de malades depuis plus de trente ans ? La réponse de Merck est la même depuis un an : le laboratoire explique s’être conformé à une demande émanant de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). C’est bien là que le bât blesse, pour plusieurs raisons.
Les Jours se sont procuré la lettre recommandée avec accusé de réception, envoyée à Merck et encore jamais dévoilée par l’ANSM. L’agence – alors appelée Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) – a adressé cette missive le 21 février 2012 au siège du laboratoire, à Lyon. Elle lui demande de procéder à une modification des différentes sortes de Levothyrox, dans un délai de dix-huit mois maximum. Le courrier est signé de la main du professeur Philippe Lechat, alors directeur de l’évaluation des médicaments au sein de l’agence. Or, cette signature est tout sauf anodine. Car Les Jours sont également en mesure de révéler que le professeur Lechat s’est ainsi trouvé en position de commander une nouvelle formule à un laboratoire… dont il a servi la stratégie quelques années auparavant.

Philippe Lechat a en effet joué un rôle-clé pour le compte du labo allemand au début des années 2000. À cette période, il a coordonné une étude européenne baptisée « CIBIS-III », pilotée par Merck. Elle montre qu’une molécule, le bisoprolol, apporte des résultats probants pour soigner les insuffisances cardiaques. Merck, déjà pionnier sur les