Suède, envoyée spéciale
«Un chemin de fer, ce n’est qu’une mince ligne sur une carte. Et pourtant, pour nous, c’est un énorme problème. » Assis dans les cartons de son bureau, Niila Inga semble aussi débordé que fatigué. L’éleveur de rennes issu du dernier peuple autochtone d’Europe, les Samis (lire l’épisode 1, « Les Samis, une lutte polaire pour leur terre »), l’assure : il lui faudrait des heures pour détailler par le menu les mille difficultés causées par le déménagement de la ville de Kiruna. Bordé au sud par la plus grande mine de fer souterraine du monde, le cœur de la cité s’effondre progressivement dans un gouffre. Alors, pour éviter l’apocalypse, habitants et maisons sont délocalisés trois kilomètres à l’est, dans une cuvette au pied de la montagne (lire l’épisode 2, « Dans le Grand Nord, la mine qui mangeait la ville »). Un nouveau centre à la frontière des pâturages du sameby de Niila Inga, Laevas. Entre la ville et la mine, au nord, et la frontière du sameby voisin de Girjas, au sud, ne subsiste qu’une mince bande de terre de cinq kilomètres de large. Cinq kilomètres où, chaque fin d’automne, les milliers de rennes de Laevas transitent vers les forêts de l’est où ils trouveront lichens et mousses pour passer l’hiver.
Et c’est un tout autre chemin qui se superposera sur cette voie migratoire au cours des prochains mois, un chemin de fer pour rallier la nouvelle gare de Kiruna, tandis que l’ancienne sombrera dans le gouffre de la mine. « Cela peut sembler bien peu, quelques kilomètres de rails. Mais quand les rennes passent trop proches du chemin de fer, notamment en hiver quand il y a beaucoup de neige, ils ont tendance à marcher dessus, parce que la route est plus facile pour eux, explique Niila Inga. Et des centaines d’entre eux sont tués par les trains chaque année. » Pour les éleveurs samis, la perte est immense. S’ils reçoivent une compensation économique de l’État, à hauteur de 3 600 couronnes (337 euros) pour chaque renne passé sous une locomotive, celle-ci n’est pas suffisante pour acheter une nouvelle bête, dit l’éleveur. « Et penser que l’argent peut compenser la perte d’un renne, c’est une vision de court terme, ajoute-t-il. S’il s’agit d’une femelle fertile, ce sont plusieurs générations à venir qui sont perdues. »
Trois kilomètres à l’est, dans les galeries toutes de bois et de verre de la nouvelle mairie, Nina Eliasson est parfaitement consciente du problème. L’urbaniste en chef de la municipalité a tourné et retourné la situation dans sa tête :