Suède, envoyée spéciale
Kangos, Suède, 105 kilomètres au nord du cercle polaire, non loin de la frontière finlandaise. Quand Hans Holma sort un seau de granulés alimentaires de la grange, une dizaine de rennes se précipitent vers la mangeoire. En ce début d’hiver, les branches des arbres ploient sous un épais manteau blanc. La neige crisse sous les pas, verglacée. Il fait -30°C.
Au cours des mois précédents, l’alternance des périodes de pluie, de neige et de gel ont recouvert la terre de multiples couches de glace et les rennes peinent à y creuser pour atteindre la mousse et les lichens dont ils se nourrissent en hiver, explique Hans Holma. Alors l’éleveur sami n’a pas le choix, il doit acheter d’importantes quantités de nourriture industrielle pour assurer la survie de son troupeau, plusieurs centaines de rennes qui arpentent les terres arctiques au gré des transhumances saisonnières. Cette tradition d’élevage est centrale pour les Samis, dernier peuple autochtone d’Europe. L’impact du réchauffement climatique, Hans Holma le mesure d’année en année. Les saisons sont de plus en plus imprévisibles. Et s’adapter à cette nature qui s’emballe est d’autant plus complexe que les pâturages se réduisent, grignotés par les mines et les routes, les éoliennes et les coupes forestières. Sur les terres du sameby de Muonio, dont Hans Holma est le président, ce sont ces dernières qui sont au cœur des préoccupations.
Au fil des ans, les compagnies forestières y ont multiplié les coupes rases, remplaçant la vieille forêt par des plantations de conifères destinés à être à leur tour abattus pour alimenter le cycle d’une industrie représentant quelque 10 % des exportations nationales. Or, la survie des rennes dépend de la forêt, explique Hans Holma : « Quand ils ne peuvent creuser le sol en hiver, ils se nourrissent du lichen pendant aux branches. Mais ce lichen ne pousse que sur des arbres d’un certain âge. Alors à mesure que la vieille forêt disparaît, les rennes peinent à trouver de quoi se nourrir dans la nature. Nous n’avons pas d’autre choix que de compenser ce manque en leur fournissant des granulés industriels, pour qu’ils passent l’hiver. » Et cela a un coût. « Il est de plus en plus difficile de gagner sa vie en tant qu’éleveur, soupire-t-il. Et c’est mauvais pour les troupeaux, qui s’habituent à être nourris. Un jour, ils ne seront plus capables de survivre seuls sur les terres de pâturages et ceux-ci seront de toute façon tellement réduits que l’élevage traditionnel disparaîtra. »
Katarina Sevä sait à quel point l’héritage de ses ancêtres samis est fragile.