Suède, envoyée spéciale
C’est une simple photo de classe en noir et blanc. Vingt petites filles de 8 ou 10 ans fixent l’objectif sans sourire, intimidées sous leurs bonnets brodés. « Voici mes deux tantes et ma mère », dit Rose-Marie Huuva, le doigt glissant sur l’image. À l’étage du café de Kiruna, tout au nord de la Suède, où elle nous a donné rendez-vous, la poétesse samie, du nom du dernier peuple autochtone d’Europe, a sorti ses archives, notes, recueils de poèmes, bribes mêlées de l’histoire de sa famille et de son peuple, déposées à côté de sa tasse fumante. Cette photo, Rose-Marie l’a toujours connue. Sa mère en avait une petite reproduction, chez elle, souvenir de ses années de classe à l’école nomade, où l’on envoyait les enfants d’éleveurs samis (lire l’épisode 4, « En Suède, le Parlement sâme suffit-il ? »). « Mais elle n’en parlait pas, dit la poétesse. Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris dans quel contexte cette photo a été prise. Et ce qui s’est probablement passé après. »
Car cette image n’est pas une banale photo de classe. Elle est l’œuvre du Rasbiologiska Institutet, l’Institut de biologie raciale, fondé à Uppsala, au nord de Stockholm, en 1922. À l’époque, la théorie des races et son pendant, l’eugénisme, sont particulièrement en vogue en Europe et outre-Atlantique. Mais en la matière, la Suède est une pionnière. L’institut d’Uppsala est le tout premier du genre directement financé par un État, et son fondateur, Herman Lundborg, une sommité. Dans ses couloirs, on croise des chercheurs étrangers venus s’inspirer des méthodes suédoises
Les enfants étaient menés individuellement dans une pièce. On les déshabillait et on les photographiait, nus. Et personne n’était là pour les protéger ! Personne !
Tout au long des années 1920 et 1930, l’Institut envoie ses chercheurs mener des études de terrain, particulièrement dans le Nord, pour classifier les diverses populations. Là, ceux-ci s’attellent tout à la fois à documenter le mode de vie des autochtones
« La photo de classe de ma mère a été prise en 1931, raconte Rose-Marie Huuva.