Suède, envoyée spéciale
Råneå, 120 kilomètres au sud du cercle polaire. De prime abord, Henrik Andersson n’a rien d’un Don Quichotte. Barbu bourru, sa parole s’emballe au fil des verres accompagnant le ragoût d’élan sauvage qui fume dans nos assiettes. Le Sami ne mâche ni ses mots, ni ses jurons. Éleveur de rennes, activité ancestrale du peuple sâme, la vie de Henrik Andersson se divise entre sa maison, au cœur de la forêt du sameby de Gällivare, et une caravane perdue sur ses pâturages d’hiver, où il passe plusieurs semaines par an pour surveiller son troupeau. Sauf que, depuis plus d’une décennie, il bataille contre des géants : de gigantesques moulins d’acier blanc que de nombreuses compagnies veulent implanter sur ses pâturages.
« En tout, il y a cinq projets de champs d’éoliennes sur nos terres », explique l’éleveur. Le premier, celui de Hällberget, a vu le jour il y a treize ans. Porté par la compagnie suédoise Vasa Vind, cet ensemble de 153 éoliennes devrait produire plus d’un milliard de kilowatts par heure, soit environ 0,6 % de la production électrique suédoise actuelle. « Les mesures de vent montrent d’excellentes ressources éoliennes, ce qui rend la région très propice au développement de parcs », s’enthousiasme la compagnie sur son site. Sur le papier, les conditions semblent parfaites. Mais c’est sans compter la résistance des éleveurs de rennes du sameby de Gällivare, dont les actions judiciaires ont repoussé le développement du projet depuis une décennie parce qu’il doit être implanté au cœur de leurs pâturages. Plus précisément dans une zone de vêlage où, génération après génération, les rennes viennent mettre bas à la belle saison.
Or, ceux-ci tendent à fuir et contourner largement les zones d’éoliennes, explique Henrik Andersson en s’appuyant sur une étude de l’université suédoise des sciences agricoles. Effrayés par leurs grandes ombres mouvantes évoquant le vol de prédateurs, ils sont également perturbés par le vrombissement constant de leurs pales. « L’impact d’une éolienne va bien au-delà, parce qu’elle n’est pas implantée toute seule au milieu de nulle part, continue l’éleveur. Il faut une zone à peu près dégagée, des routes pour y acheminer les matériaux de construction et d’entretien… C’est toute une infrastructure qui vient perturber l’écosystème. Et une zone entière, où les rennes retournaient d’instinct, génération après génération, qu’ils vont désormais éviter. » À la recherche d’un autre endroit où mettre bas. Mais où ? Certes, avec ses 8 321 km