De Marseille
Les enfants posés à l’école, quelques parents s’installent jeudi matin sur l’une des terrasses de la Plaine, vaste place du centre de Marseille. Dans ce quartier de brassage, plutôt métissé socialement, très autogestionnaire, où les habitants se mobilisent et s’organisent plus facilement qu’ailleurs lorsque la municipalité veut imposer des aménagements, Jean-Luc Mélenchon dépassait 40 % dimanche dernier dans la plupart des bureaux de vote. Depuis, le débat autour de l’abstention fait rage. À l’écart des étals du marché qui s’étale, deux mères commencent à discuter. L’une, d’origine étrangère, explique que si l’on ne veut pas voter pour soi, il faut le faire pour les autres, ceux qui sont empêchés, qui deviendront des cibles demain si le Front national remporte l’élection. L’autre n’est pas d’accord, le ton monte. La seconde finit par s’emporter, reproche à l’autre de la culpabiliser, d’être dans « des arguments affectifs qui empêchent de transformer la société ».
Benjamin, développeur qui a voté Mélenchon, ne retournera pas aux urnes dimanche, écoute la conversation. « Parler de politique, murmure-t-il, ça ne laisse jamais serein. Mais là, depuis dimanche, des gens de gauche très proches au niveau des idées se positionnent diamétralement. Moi, j’ai 40 ans, je vais m’abstenir pour la première fois et je réalise que c’est très violent pour les gens. Je passe quasiment pour un traître. » Il a fait ce choix pour « ne pas pouvoir [se] dire ensuite » qu’il a « participé à ça », à l’élection d’Emmanuel Macron. Il a été, comme la plupart de ses amis, ulcéré par l’attitude du candidat au soir du premier tour, « qui prenait des poses de vainqueur, était joyeux alors qu’il se retrouvait dans un deuxième tour face à Marine Le Pen ».
Quand on est turc, ou qu’on vient d’un régime autoritaire, le droit de vote prend un sens très particulier, surtout en ce moment.
L’une de ses amies, Fikriye, 44 ans, est d’origine turque, naturalisée depuis 2000. Elle a voté pour la première fois en 2002 – « Avec le recul, glisse-t-elle à ce sujet, je trouve Chirac presque élégant par rapport à la classe politique actuelle. » Pour elle, « le vote nous renvoie aussi à nos parcours personnels, familiaux ». Elle, est immigrée. « Et quand on est turc, ou qu’on vient d’un régime autoritaire, le droit de vote prend un sens très particulier, surtout en ce moment. » Son compagnon s’abstiendra, elle va voter Macron, mais a commencé par se poser sérieusement la question. « J’ai deux filles qui ont 6 et 9 ans, explique-t-elle.