De Marseille
On vous la fait courte : l’OM aimerait mettre le grappin sur l’exploitation du Vélodrome, histoire d’y gagner quelque argent. Mais comment ? C’est là que ça se complique. Le club discute avec l’opérateur actuel, Arema, et ça dure. C’est une valse en trois temps et trois danseurs – le club, la ville, le gestionnaire –, où la municipalité a l’habitude de faire des cadeaux au club au détriment du contribuable, et où on finit par attraper le tournis.
Pour y voir plus clair, dans cette obsession qui vous conte l’Olympique de Marseille côté foot, côté ville, et aussi côté pognon, on a débarqué un après-midi dans le bureau de Martin d’Argenlieu. Il a de la chance, le directeur général du Vélodrome : il travaille au stade. Pas pour ça qu’il vient au boulot en survêt. Même si dans son job, il y a parfois du sport.
Surtout quand déboulent « Frank & JH », soit le nouveau proprio Frank McCourt et le prez’ du club JH Eyraud, qui veulent « exploiter » le stade, car c’est aussi comme ça que McCourt a fait son beurre avec le club des Dodgers à Los Angeles (lire l’épisode 1, « Droit à la culbute »). Mais là, Martin d’Argenlieu allume les warnings : le consortium Arema a un contrat en béton avec la ville, et du béton, au Vélodrome, y a que ça (sauf la pelouse). Ce contrat, c’est un fameux « PPP », un « partenariat public privé » signé en 2010, qui paye pour la construction et pour l’entretien. Il court sur 35 ans, jusqu’en 2045.
Pour avancer dans sa demande, l’OM sonde du côté de la mairie. Jean-Claude Gaudin n’a aucune passion pour le foot, mais il sait que « le ballon » peut tout pourrir si on n’y prend garde. Le maire Les Républicains (LR) lui fait donc bon accueil. Tant pis si la Cour des comptes dénonçait encore en septembre dernier « une relation déséquilibrée entre le club résident et la ville, à son détriment », ce qui fait courir à Marseille « un certain nombre de risques sur lesquels les juridictions financières attirent vivement l’attention ».
Mais Gaudin n’en a cure : il s’est toujours opposé à la vente du Vélodrome, désireux de le garder dans le giron municipal. Pour le reste, il lâche du lest et explique, fin juillet 2017 sur son compte Facebook, que « l’OM entend, et c’est bien compréhensible, réduire l’influence des résultats sportifs sur sa situation ». C’est le souci de tous les clubs : comment gagner des pépètes même quand on perd des matchs, et comment s’assurer un « patrimoine » pour consolider un modèle économique casse-gueule, puisqu’il ne repose que sur des biens immatériels (les contrats de joueurs, dont la valeur fluctue grandement) ? En conséquence, le maire soutient le projet de l’OM de « s’associer à l’exploitation » et encourage les futurs mariés « à trouver rapidement un accord ». Rapido les gars, qu’on en finisse.
Mais comment s’entendre ? McCourt a cru que ça serait simple, mais la France, hein, c’est pas l’Amérique. Dans le PPP, il était prévu que l’OM puisse prendre une participation dans Arema mais ce n’est pas l’option Frank & JH, qui veulent être les boss. Ils pourraient aussi racheter Arema, mais ça ne les branche pas. Troisième option, en cours de discussion : passer un contrat avec le consortium qui offrirait 100 % de l’exploitation à l’OM, pendant qu’Arema continuerait ses autres fonctions, notamment dans l’entretien du stade.
Selon Martin d’Argenlieu, les deux entités ont signé en ce sens un accord de confidentialité à l’été dernier, et Arema a transmis au club les derniers documents en octobre pour l’informer de l’activité. Depuis, « on attend », dit le directeur général. L’OM doit faire une offre. De combien ? Mystère et boule de pétanque : le club fait savoir que « les discussions avec Arema se poursuivent et pour l’instant, l’OM ne fait pas plus de commentaires sur le sujet ».
Si cette option est retenue, elle ne peut se régler que par une grosse redevance à Arema, qui ne va pas lâcher le bébé pour rien. Le club en a-t-il les moyens ? Sans cette future dépense, la gestion du club s’annonce déjà ultra-déficitaire. C’est, justifient ses boss, parce qu’ils doivent investir pour que ça rapporte. Mais pourquoi mettre de l’argent dans le stade plutôt que dans des joueurs ? La stratégie nous échappe aussi sûrement qu’un Thauvin dribblant un défenseur messin sur son aile.
Autre souci : si un accord intervient, l’OM devra faire de l’argent avec le stade. Et ce n’est pas facile. Des concerts géants ? Les artistes capables de remplir des stades ne sont pas légion ; Johnny est réputé indisponible depuis le 5 décembre dernier. Les grandes enceintes se tirent la bourre et le Stade de France, premier sur le marché, prend le meilleur. La Cour des comptes l’a dit : le produit exploitation « reste aléatoire » dans une économie « devenue très concurrentielle ».
Pour l’instant, le Vélodrome produit de l’argent, mais pas tant que ça. Chaque année, Arema doit verser à la ville 12 millions d’euros garantis par le contrat. Le consortium peine à dégager cette somme, même s’il s’améliore. En 2016, il a perdu 1,1 million, contre 8 millions en 2015, et fait le pari du long terme : d’ici 2045, il réussira bien à tirer quelque profit. « Les actionnaires sont confiants dans le modèle », assure Martin d’Argenlieu, même s’il estime que, au moment de la signature du PPP, les « BTPéistes » qui formaient l’essentiel du consortium Arema autour de Bouygues ont eu droit à une présentation un peu trop avantageuse des ressources qu’ils tireraient du stade.
À l’OM, on doit se dire que tout ça ne fait pas une poule aux œufs d’or. Mais peut-être le club a-t-il un plan secret ? En foot, rien n’est impossible, on voit même Mitroglou enquiller les buts. Certains suspectent l’équipe dirigeante de viser « une opération pour revendre vite », sachant qu’un club vaut plus avec stade que sans. D’autres s’inquiètent : quelles garanties pour la ville si l’OM périclite ou passe en L2 ? Le risque est faible, mais ça s’est vu. Qui assurerait les revenus jusqu’en 2045 ? Le Mans a fait construire un stade en PPP pour le club alors en L1, mais il a sombré. La ville se retrouve avec tous les coûts et peu de ressources… La Cour des comptes a alerté sur un « double risque de défaillance de l’exploitant retenu et du club résident ».
Ces incertitudes n’empêchent pas la ville de faire des fleurs au club. Lundi, le conseil municipal examinera la cession de l’emprise du stade Le Cesne (37 665 mètres carrés) par bail emphytéotique de cinquante ans. Le club a l’intention d’y investir 16 millions d’euros pour construire un centre d’entraînement destiné aux féminines et aux moins de 15 ans. Le loyer qu’il payera n’est pas connu mais Stéphane Mari, conseiller municipal d’opposition En marche, estime que, au prix du marché dans le quartier de Mazargues, cela représente un « cadeau » de plusieurs millions d’euros.
L’autre cadeau porte sur le loyer payé à la ville pour l’usage du Vélodrome. Initialement, il était de 4 millions d’euros par an : ridicule. Pour la chambre régionale des comptes (CRC) de Paca, il faudrait, compte tenu des charges, 8 millions. Mais la ville a topé par convention le 16 octobre 2017 pour un montant modeste : 5 millions annuels pour 2017/2020.
Or, la ville doit débourser chaque année 15,8 millions pendant les 35 ans du PPP, une facture qu’elle peut faire baisser avec le loyer. D’où l’importance de bien le négocier, sinon, on prend un risque : celui de se voir accuser de subventionner le club. Et s’il ne loue que 5 millions, ça signifie que la ville – donc le contribuable – a à sa charge les deux tiers des frais du Vélodrome. C’est exagéré. Mais entend-on des protestations ? Pas beaucoup. À part Laurent Lhardit, un élu d’arrondissement PS qui a saisi le maire d’un recours gracieux le 14 décembre pour faire annuler la convention avec l’OM. Il s’étonne notamment que les droits télé soient exclus du calcul de la part variable du loyer, alors « qu’ils constituent un des éléments essentiels du chiffre d’affaires ».
Autant les élus sont capables de gérer les logiques clientélistes de cette ville, autant les supporters leur font peur. C’est plus que de la peur : de l’angoisse.
Ses petits camarades du PS n’ont pas l’air de le suivre. Laurent Lhardit a démarré tout seul balle au pied et quand il se retourne, il n’y a plus personne. Les politiques craignent de faire le moindre geste interprétable comme hostile à l’OM, donc à ses supporters, donc à leurs électeurs. « Autant les élus sont capables de gérer les logiques clientélistes de cette ville, autant les supporters leur font peur, explique Lhardit. C’est plus que de la peur : de l’angoisse. »
Benoît Payan, patron des élus socialistes au conseil municipal, a récemment rebaptisé le PPP « partenariat perdant perdant ». Cela n’a pas empêché le PS de voter pour, en 2010, seuls les Verts s’y opposant. Le projet de construction était passé de 150 millions en 2009 à 270 millions, soit 80 % d’augmentation en un an, sans que personne ne trouve à y redire. Le Vélodrome, c’est « le symbole de la culture marseillaise », précisait la ville.
Mais si elle avait emprunté l’argent elle-même, ça aurait coûté 93 millions de moins, selon la CRC de Paca. La différence représente notamment la rémunération des actionnaires d’Arema. Pendant ce temps, les contribuables mettent la main à la poche, pour la deuxième fois en vingt ans. En 1998, le stade, construit en 1937, est passé de 35 000 à 58 000 places, afin d’accueillir des matchs du Mondial. Bim ! 60 millions d’euros. Puis en 2016, avant l’Euro, nouvelle – et totale – refonte. Rebim ! « Je comprends que cela rende le contribuable sceptique », dit Martin d’Argenlieu. Mais pour lui, le PPP est aussi un choix « qui le protège », puisque Arema supporte les charges d’entretien et rendra en 2045 un stade « comme neuf » à la ville.
Ça ne résout pas la question centrale : pourquoi le contribuable paye-t-il pour le stade ? Vu l’argent qui circule dans le foot, c’est difficile à avaler, surtout en ces temps de disette budgétaire pour les collectivités. Martin d’Argenlieu rétorque que l’argent public investi dans le Vélodrome rapporte : l’organisation des demi-finales du Top 14 de rugby sur deux jours, en mai 2017, a produit 21 millions d’euros de retombées pour la métropole, selon une étude du Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges.
Mais les retombées ne sont pas toujours positives. Ainsi, la construction du nouveau Vélodrome s’est doublée d’un « programme immobilier d’accompagnement ». GFC Construction (groupe Bouygues) a bétonné les 100 000 mètres carrées disponibles autour du stade, c’est moche et ça déséquilibre la ville. Collé au Vélodrome, un centre commercial va ouvrir en mars et les Galeries Lafayette quittent l’artère piétonnière du centre, la rue Saint-Ferréol, pour s’y installer. Cette opération aggrave la dévitalisation du cœur de ville autour de la Canebière, surtout qu’un autre centre commercial cartonne du feu de Maradona sur le port. La municipalité a sorti en urgence un plan baptisé « Ambition centre-ville » pour atténuer ces effets pervers. Mais bon, tant pis : si le centre crève, on y fera un grand terrain de foot, et Pamela Anderson, compagne du joueur Adil Rami, y jonglera en talons aiguilles.
L’ESSENTIEL, C’EST LES TROIS POINTS
1/Dernier match Marseille a écrasé le club de L2 Bourg-en-Bresse (9-0) en 8es de finale de la Coupe de France, mardi. Après son 6-3 contre Metz, l’OM a inscrit 15 buts en deux matchs.
2/Prochain match L’OM se rend ce vendredi soir à Saint-Étienne pour le championnat de L1 (20 h 45).