Cerilly, petite commune de l’Allier, 1 300 habitants. Il est 18 h 10, le 19 juillet 2019, lorsque Laurence Vanceunebrock-Mialon, députée de la circonscription, gare sa C3 grise dans un parking éphémère aménagé en plein champ. Vêtue d’un jean et d’une chemise grise à col mao blanc, elle sort de sa voiture et se dirige à pied vers une ancienne ferme retapée devenue résidence d’artistes. On l’attend pour assister au premier événement du Silure Festival. Trois jours de concerts, de théâtre et de débats. Un moment de répit sur cette petite route de campagne, par un temps beau et doux, dans son agenda surchargé. Elle chausse ses Ray-Ban, demande son chemin, appelle l’organisateur du festival. Il sera là dans dix minutes. Alors elle se met à l’écart, derrière l’étable aux chèvres qui jouxte l’ancienne ferme, et en profite pour passer un coup de fil à l’une de ses filles.
Laurence Vanceunebrock-Mialon est la mère de deux jeunes femmes de 19 et 15 ans, conçues avec son ex-compagne, par procréation médicalement assistée (PMA) en Belgique. Mère aussi de deux garçons, de 8 et 11 ans, qu’elle a adoptés avec son épouse, au Brésil, en décembre dernier. Députée La République en marche (LREM) depuis juin 2017, élue grâce à la vague Macron, elle n’est que la seconde femme ouvertement lesbienne siégeant à l’Assemblée nationale. Le 18 octobre 2017, lors d’une présentation sur la haine anti-LGBT au sein de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, elle parle « librement de [sa] situation de lesbienne avec deux enfants, séparée de [son] ex avant le mariage pour tous ». La chose est si inhabituelle qu’un journaliste du Point la contacte pour en savoir plus, et lui consacre un entrefilet. Début d’emballement médiatique. Grand dieu ! L’ouverture de la PMA aux couples de femmes ne serait donc pas qu’une machine à clash pour amateur de shows télévisés ! Voilà qu’une représentante du peuple, vivant à une heure de route de Montluçon, assume de l’incarner… Compter aujourd’hui la députée de l’Allier parmi les membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique, comprenant l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, n’a donc rien de surprenant. Depuis ce lundi 26 août et le début des auditions de la commission, Laurence Vanceunebrock-Mialon est ainsi au cœur d’un combat politique et personnel étroitement lié à sa situation familiale.
La députée concède même que la défense de sa famille est à l’origine du cheminement intellectuel, entamé il y a sept ans, qui a abouti à son engagement. Août 2012 - mai 2013, neuf mois de débats sur le mariage pour tous. Neuf mois de souffrance pour Laurence Vanceunebrock-Mialon, comme pour tant d’autres personnes LGBT. « Mon homosexualité n’avait jamais été jusqu’ici un sujet. Mais j’ai tellement mal vécu cette période… Et puis le texte ne réglait pas nos problèmes. Il a fallu que j’explique à mon entourage que ma famille à moi n’était pas plus sécurisée après cette loi. » Et pour cause. Pour adopter sa fille cadette, qu’elle n’a pas portée
Ils me parlaient beaucoup de leur famille à eux, je parlais peu de la mienne. Les rares fois où ils m’ont posé des questions sur ma vie privée, je leur ai dit que je cohabitais avec une cousine.
Dans le bureau de sa permanence parlementaire, à Montluçon, Laurence Vanceunebrock-Mialon accepte volontiers de retracer son parcours. Après un bac littéraire A2, l’adolescente part en 1988 de chez ses parents, qui habitent dans un bled entre Calais et Dunkerque. Elle prend un studio à Ronchin, en périphérie de Lille, et entame une fac d’anglais à Villeneuve-d’Ascq. « Mais je ne voulais plus que mes parents financent mes études, je voulais gagner mon indépendance et me défaire de l’emprise de ma mère. » Elle choisit, pour gagner sa vie rapidement, de passer le concours de la police nationale. Elle le réussit et intègre l’école de Roubaix. Pendant cette année de formation, son stage au commissariat central de Lille la passionne. Elle aime le terrain et l’action, et choisit de commencer sa carrière à Bobigny. Elle y travaille sept ans, effectuant d’abord des patrouilles en véhicule banalisé dans les quartiers sensibles (« des cocottes-minute prêtes à sauter à tout moment », dit-elle), avant d’intégrer la brigade anticriminalité (BAC). Plusieurs années après, lors de sa mutation au commissariat de Lille, elle postule à la BAC et se retrouve à la brigade du métro. En cause ? Le brigadier-major qui lui dit, toute honte bue : « Il n’y a jamais eu de nana à la BAC. Et tant que je serai là, il n’y en aura pas. » Trois mois après, celui-ci se ravise et lui propose de faire un essai pour voir « si elle en est capable ». « Mon cœur de féministe avait envie de l’égorger mais j’en ai fait abstraction, et j’ai accepté son offre. » S’en suivent deux semaines de mise à l’épreuve, au sein de cette unité d’une centaine d’hommes. « Personne ne me parlait, l’homme avec qui je partageais mon casier le vivait mal. » Les blagues machistes volent en escadrille. Jusqu’à ce qu’à la faveur d’une première intervention d’importance, elle démontre à ses collègues son aplomb et ses aptitudes physiques. « Je n’étais pas derrière eux mais avec eux. » La situation s’inverse, la future députée devient la mascotte du service.
Personne là-bas ne sait alors qu’elle vit avec une femme. « Ils me parlaient beaucoup de leur famille à eux, je parlais peu de la mienne. Les rares fois où ils m’ont posé des questions sur ma vie privée, je leur ai dit que je cohabitais avec une cousine. » C’est dans son équipe de rugby, « où il y avait beaucoup de filles lesbiennes », qu’elle peut vraiment être elle-même. Et c’est au sein de ce groupe que son désir d’enfant trouve, pour la première fois, un potentiel aboutissement. En 1998, le Pacs n’est pas encore voté et Laurence Vanceunebrock-Mialon, 28 ans, découvre à Lille que des homosexuelles françaises vont faire une PMA en Belgique pour avoir des enfants grâce à un don de sperme.
Elle prend contact avec une clinique, tombe enceinte mais, à la BAC, ne dit toujours rien sur son foyer. Elle change de service, accouche de la première fille du couple en 2000. Sa compagne d’alors, en fin de thèse, trouve un travail chez Michelin à Clermont-Ferrand. La policière se met en disponibilité pour la suivre. Elles déménagent en Auvergne. Leur seconde fille, portée par sa compagne d’alors, naît en 2004. « Nous étions très loin de la Belgique. Les allers-retours étaient épuisants. Ce second protocole de PMA a été encore plus dur, un vrai parcours du combattant », se souvient-elle. En 2007, le couple se sépare en bons termes et met en place une garde alternée pour leurs deux enfants. Une semaine chez l’une, une semaine chez l’autre. Aucun jugement n’encadre pourtant cette organisation, qui ne repose que sur le bon vouloir de chacune. Légalement, Laurence Vanceunbrock-Mialon est une femme célibataire qui a eu une fille (leur aînée), et sa compagne une autre femme célibataire en ayant eu une autre (leur cadette). Les deux femmes ne s’étaient pas pacsées mais de toute façon, le Pacs n’aurait rien changé pour elles. Le texte voté en 1999 n’aborde pas la question des enfants vivant au sein de couples de même sexe. Le sujet est polémique. Le Parti socialiste, qui soutient la proposition de loi, ne veut surtout pas parler des familles homoparentales, faisant comme si celles-ci n’existaient pas. La députée de la seconde circonscription de l’Allier en est un parfait contre-exemple.
De nouveau en couple, avec une médecin généraliste, la policière se lance en 2008 dans un nouveau projet d’enfant. C’est reparti pour les allers-retours en Belgique et une clinique qui, « c’était [leur] impression, [les] considérait comme un tiroir-caisse ». Après six inséminations (IAD) infructueuses, le couple décide d’en changer. Entame un nouveau cycle de six inséminations qui ne fonctionnent pas non plus. Décide de passer à une fécondation in vitro (FIV), sans plus de succès. Entre-temps, la loi mariage pour tous a été adoptée en 2013 et les deux femmes se sont mariées. À ce titre, si leur tentative aboutit, Laurence Vanceunebrock-Mialon devra adopter l’enfant mis au monde par sa femme. Le médecin qui les suit en Belgique les recommande à un spécialiste de la fertilité à Paris, dont le diagnostic tombe comme un couperet : « Il nous dit que mon épouse fabrique des anticorps qui empêchent la nidation, raconte la députée. Et nous prescrit un traitement à haute dose de cortisone avant de tenter une dernière FIV. » Qui échoue, six ans après la première tentative du couple. « C’est là qu’on a pris la décision d’adopter ensemble. »
Dans cinq ans, si je ne suis pas réélue, la vie continuera. Je ne prends donc pas de risque politique à dire que je suis mère et lesbienne, que j’ai fait une PMA à l’étranger. Je n’ai pas peur.
Décembre 2015. Plus de deux ans et demi après que la loi mariage pour tous ouvre l’adoption aux homosexuels, le couple de femmes obtient l’agrément, première étape d’un long processus. « On a très mal vécu la visite des travailleurs sociaux à notre domicile. Ils ne venaient pas pour s’assurer du bien-être d’un futur enfant adoptif. Ils venaient faire une étude sociologique », se souvient-elle. Les épouses se tournent alors vers une association, la Confédération française pour l’adoption (Cofa), à Cognac, qui travaille avec le Brésil, l’un des rares pays à permettre l’adoption de ses orphelins par des couples de même sexe. Fin août 2018, leur dossier est accepté. Elles décollent pour le Brésil le 2 novembre et rencontrent pour la première fois leurs deux garçons, frères et membres d’une fratrie de douze enfants, le 5 novembre. Devant rester plus d’un mois sur place pour procéder à l’adoption, la députée informe par souci de transparence les présidents de l’Assemblée nationale et de la commission des Affaires sociales de son absence prolongée. Lorsque, le 17 novembre 2018, la crise des gilets jaunes éclate, elle est à plus de 8 000 kilomètres. « Une députée française lesbienne au Brésil pour adopter, quelques jours après l’élection de Jair Bolsonaro, et alors qu’un mouvement social de grande ampleur gronde en France, ça faisait beaucoup… Mais je ne pouvais pas revenir, alors j’ai tout géré à distance. » À son retour, un élu RN tentera, lors d’une réunion publique dans sa circonscription, de la déstabiliser, l’interrogeant sur les causes de son absence. « Alors je leur ai tout expliqué, lance-t-elle avec fermeté. Ma famille, l’adoption. Et là, tout le monde a applaudi. »
« Je parle de ma famille sans problème parce que pour moi, ce mandat de cinq ans n’est qu’un passage, une période de ma vie. Dans cinq ans, si je ne suis pas réélue, la vie continuera. Je ne prends donc pas de risque politique à dire que je suis mère et lesbienne, que j’ai fait une PMA à l’étranger. Je n’ai pas peur. C’est peut-être ce qui me différencie des autres hommes et femmes politiques », réfléchissait-elle à haute voix en début de mandat. À l’observer, deux ans et demi plus tard, gérer avec entrain, humour et assertivité une réunion de militants LREM sur la réforme des retraites puis discuter, concentrée, avec le référent départemental LREM des prochaines élections municipales, on jurerait qu’elle a pris goût à l’exercice du pouvoir politique. Le bracelet tricolore bleu-blanc-rouge qu’elle arbore au poignet n’en est-il pas le signe extérieur le plus évident ?
Au fond du bureau de Laurence Vanceunebrock-Mialon, à Montluçon, trônent trois drapeaux, deux français et un européen. Et sur les murs, deux références à Georges Clemenceau. Le catalogue de l’exposition « Clemenceau, un tigre au palais Bourbon » qui s’est tenue à l’Assemblée nationale en 2018. Et une grande affiche reprenant la couverture, un tigre figurant le « père la victoire », du numéro du 13 mars 1919 de l’hebdomadaire satirique La Baïonnette. « Le combat de cette grande figure de la République en faveur de la séparation des Églises et de l’État, son opposition à la colonisation notamment, en font à mes yeux un type sensationnel », explique la députée de l’Allier. Une référence pour elle ? Lors d’une entrevue pour Les Jours fin 2017, à l’Assemblée nationale, elle se confiait : « À la suite de l’encart sur moi dans Le Point, j’ai reçu beaucoup de messages. Je me suis alors rendu compte que je ne parlais pas que pour moi et pour ma famille. Mais que je devenais, du fait de mon statut de députée lesbienne, une sorte de porte-parole, de porte-drapeau. Je ne suis pas particulièrement attirée par la lumière mais pour défendre la cause des enfants des familles homoparentales, je peux accepter, oui, d’être une sorte… je n’aime pas ce mot, mais oui, une sorte d’icône. » Une combattante, à tout le moins. Dans les semaines et mois à venir, l’élue ambitionne de peser sur les débats parlementaires pour que la partie du projet de loi relative à la PMA, à la filiation et à l’accès aux origines réponde aux attentes de toutes les familles. Qu’elles soient hétéro, homo, mono ou transparentales. Les réactions mitigées au texte gouvernemental approuvé le 24 juillet en Conseil des ministres, taxé de minimalisme par les associations concernées, comme nous le verrons dans le prochain épisode, lui auront sans doute donné un premier aperçu de l’ampleur du défi. « Gouverner, c’est tendre jusqu’à casser tous les ressorts du pouvoir », écrivait Clemenceau dans son ouvrage La Mêlée sociale. Laurence Vanceunebrock-Mialon en fera-t-elle son mantra ?