À l’intérieur du Drima Grill de Pierrefitte-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, un fast-food très prisé des jeunes de la ville, seule la télé qui crache BFMTV en boucle rappelle les émeutes. Plus d’une semaine après la mort de Nahel M. (lire l’épisode 1, « Nahel M. : les tremblements de Nanterre secouent les quartiers »), tué par un policier à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, tout est calme dans ce restaurant au design de motel américain. À l’extérieur en revanche, tout témoigne des violences urbaines qui ont émaillé cette ville-dortoir au nord de Paris, coincée entre Saint-Denis et Sarcelles, dans le Val-d’Oise. Ici, plus du tiers des habitants (37 %) vivent sous le seuil de pauvreté quand quatre jeunes sur dix sont sans boulot. À la droite du Drima Grill, sur la porte close d’un magasin de peinture en bâtiment, une affichette manuscrite prévoit une fermeture jusqu’à « nouvel ordre », en raison des « dégradations » qui ont emporté les vitres de la devanture. À sa gauche, toutes celles de la supérette ont été, elles aussi, soigneusement brisées. L’opticien d’en face a été pillé, l’ensemble des lunettes de soleil de marque ont été volées. Partout, le bitume a fondu en de multiples endroits, là où poubelles et voitures ont été incendiées par dizaines. Dans la nuit du jeudi 29 au vendredi 30 juin, la mairie a été attaquée par des jeunes venus de quartiers rivaux, alliés pour un soir. L’édifice a tenu mais l’entrée principale, comme rôtie au mortier d’artifice, est toujours condamnée.
Le soir de l’assaut, Téti Shéri Diop, étudiante en droit et élue municipale sans étiquette, a entendu les émeutiers s’organiser depuis la fenêtre ouverte de son appartement, au cœur d’une cité de la ville. « Ils étaient très jeunes, ils ont passé deux bonnes heures à discuter : “Qui sait faire des cocktails Molotov ? Qui sait faire des grenades artisanales ?” Ils se préparaient, ils mettaient au point des cris de guerre, retrace la jeune femme de 24 ans, abasourdie. Il y avait un côté presque jouissif, festif, dans un climat insurrectionnel. En fait, ils partaient en guerre. » Si Téti Shéri Diop a été surprise par l’ampleur et la soudaineté des violences, elle l’a beaucoup moins été par leurs raisons profondes. Elle se souvient de ce mois de mai 2022, lors d’un conseil municipal des jeunes, qui réunit des ados de 11 à 18 ans.