Il faut revoir les images. Des boules de feu dans la nuit, une longue traînée de fumées noires qui navigue pendant toute une journée de Rouen jusqu’aux Pays-Bas. Ce 26 septembre 2019, des milliers de tonnes de produits chimiques ont brûlé dans l’usine Lubrizol, productrice d’additifs de lubrifiants de moteurs. Deux questions s’imposent rapidement chez les personnes exposées. La première : à qui la faute ? Près de deux ans plus tard, Lubrizol tentait d’échapper à la justice, mais, ce mercredi 30 juin, la cour d’appel de Paris a rejeté la requête de l’entreprise en nullité de l’enquête. Lubrizol reste donc mise en examen [article mis à jour après la décision de justice]. La seconde : qu’ont véritablement respiré les victimes ? Aujourd’hui, elles ne le savent pas toujours pas. Et encore moins ce que leur corps en a gardé. Esseulées, elles doivent faire pratiquer elles-mêmes les prélèvements et analyses qu’elles jugent indispensables, mener elles-mêmes les démarches nécessaires. Nous avons contacté une quinzaine de personnes impliquées dans cette catastrophe à l’époque et consulté des dizaines de documents. De quoi raconter cet événement, des prémices du drame annoncé jusqu’à ses lendemains, à savoir l’absence de sanctions des responsables comme la prise en charge défaillante des victimes.
21 janvier 2013. Du mercaptan s’échappe de l’usine Lubrizol. C’est au moins la troisième fois depuis 1975. Ce gaz toxique à haute concentration est ressenti jusqu’en région parisienne et dans le sud de l’Angleterre. Le match de Coupe de France de football entre le FC Rouen et l’Olympique de Marseille doit être reporté. L’entreprise sera condamnée un an plus tard à une amende de 4 000 euros. Négligeable pour ses propriétaires, la holding américaine Berkshire Hathaway et le milliardaire Warren Buffet.
Avril 2017. La préfecture de Seine-Maritime met en demeure l’entreprise de corriger les insuffisances de son dispositif anti-incendie. Sans la sanctionner.
Janvier et juin 2019. Conformément à la récente loi Essoc, le préfet de Seine-Maritime autorise à deux reprises Lubrizol à augmenter ses capacités de stockage de produits dangereux, sans devoir pour autant évaluer les risques qui en découlent. Plusieurs milliers de tonnes de produits supplémentaires peuvent maintenant être entreposées. Elles brûleront bientôt.

19 avril 2019. Une nouvelle inspection du site détecte plusieurs manquements de l’entreprise dans son plan de défense contre les incendies.