Nicole sourit tellement que ses pommettes soulèvent ses lunettes de soleil noires. Adossée à une voiture aux couleurs du Parti communiste français, prête pour la manifestation contre la réforme des retraites de ce 6 juin 2023, à Paris, la militante depuis 1974 à la Confédération générale du travail est intarissable sur la victoire de Sophie Binet à la tête du syndicat. « Je suis très contente, très, très contente, répète-t-elle en hochant la tête. Une femme dynamique, sincère, abordable qui nous rassemble. » Après 128 ans d’existence, la CGT s’est dotée pour la première fois d’une dirigeante lors de son congrès de Clermont-Ferrand fin mars.
Sophie Binet, mais aussi Élisabeth Borne, nommée cheffe du gouvernement en mai 2022, Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT depuis juin 2023 ou encore Dominique Carlac’h, candidate à la présidence du Medef : « Il y a enfin une légitimation de la capacité des femmes à tenir une forme de leadership, s’enthousiasme auprès des Jours Sandrine Rousseau, députée EELV et l’une des porte-voix de l’écoféminisme à l’Assemblée nationale. J’ose espérer que le discours féministe qui est porté partout finisse par avoir un effet. Il est ringard aujourd’hui de continuer sur des lignées d’hommes qui se succèdent les uns aux autres à des postes à responsabilités. » Les délégués de la centrale de Montreuil, créée en 1895, l’avaient bien compris. Dans le peloton de tête, trois noms étaient annoncés pour prendre les rênes de la CGT, lors du 53e congrès du 27 au 31 mars, dans la Grande halle d’Auvergne, en périphérie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Marie Buisson, la dauphine désignée, Céline Verzeletti et Olivier Mateu. Deux femmes, un homme. « C’était déjà un tournant que Philippe Martinez [le secrétaire général précédent] propose une femme comme candidate à sa succession », relève Michel Dreyfus, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste du syndicalisme.
Le choix de Sophie Binet à la tête de la CGT est extrêmement fort d’un point de vue féministe. […] C’est une façon de montrer que cette vague de changements a bien eu lieu, même dans [le] milieu [ouvrier].
Mais Sophie Binet remporte l’adhésion (lire l’épisode 1, « La nuit où Sophie Binet CGT dans la bataille »). « Le temps était venu d’élire une leadeuse en capacité de mener cette énorme machine qu’est la CGT. Et pour le faire, le nom de Sophie a commencé à émerger, raconte Thomas Vacheron, qui a soutenu Marie Buisson jusqu’à ce que le parlement rejette sa candidature, puis a cherché à rassembler derrière la gagnante. Mon exigence première était que ce soit enfin une dirigeante femme, et je dis bien une dirigeante d’abord. Ce n’est pas une femme pour une femme. »
Un tournant historique pour la CGT, mais en retard par rapport au premier syndicat de France, la CFDT, qui a, avant Marylise Léon, eu à sa tête Nicole Notat de 1992 à 2002.