Le 21 septembre dernier, Yannick Jadot, 54 ans, aujourd’hui candidat écolo à l’élection présidentielle, est en déplacement à Sevran, en Seine-Saint-Denis. C’est le dernier sprint du second tour de la primaire écologiste qui l’oppose à Sandrine Rousseau. Devant le petit local de la permanence d’Europe Écologie - Les Verts, à la sortie du RER, l’eurodéputé rappelle son parcours militant et résume son projet : l’écologie radicale, c’est celle qui gouverne. Une nuée de caméras l’entoure et un jeune qui passe par là et veut aussi passer à la télé lui tape sur l’épaule et lance aux journalistes : « C’est un bon gars ! C’est un bon gars ! » « Ben oui, je suis un bon gars, un bon gars de l’Aisne », réplique le candidat en se marrant.
Depuis, Yannick Jadot est devenu celui qui a gagné la primaire et celui qui propose d’interdire la chasse le week-end et pendant les vacances scolaires
Commençons donc, pour attaquer du bon pied, par ceux qui n’y voient que poudre aux yeux. « C’est un bobo parisien à 200 % ! », fulmine François de Rugy, ancien collègue Vert passé à La République en marche et au ministère de la Transition écologique. C’est pourtant bien dans l’Aisne qu’on trouve pour la première fois la trace du géant vert. À Clacy-et-Thierret, village à 8 kilomètres de Laon, où ses deux parents, instituteurs, habitent le logement de fonction au-dessus de l’école. Frédéric, Marc, Thierry et Yannick y naissent, entre 1961 et 1967. Quatre garçons en sept ans. La famille s’installe ensuite dans le village d’à côté, à Mons-en-Laonnois, moins de 1 000 habitants à l’époque. Il y a en a à peine plus aujourd’hui, 10 % de taux de chômage et plus de la moitié d’habitants de plus de 80 ans, dont la mère des fils Jadot, 82 printemps. « On vient du département qui a le plus voté Marine Le Pen aux dernières présidentielles, il n’y a pas de grandes villes, pas de ghettos urbains, pas d’usines. La nature est riche, il y a des céréales, des betteraves. Et pourtant, c’est le cœur de la France déclassée. Il y a ce sentiment terrible d’abandon qui provoque les vagues extrêmes. On l’a côtoyé enfants et on le côtoie encore », décrit Thierry Jadot, le troisième fils, ex-patron du gros groupe de communication Dentsu Aegis Network France et membre du think tank libéral Institut Montaigne.
Les Jadot s’y trouvent bien, au milieu de champs cultivés et de forêts domaniales de chênes et de hêtres qui occupent leurs sorties. « Notre père était très attaché à la nature. Il voulait vivre à la campagne. Il plantait des arbres et était très érudit en la matière », raconte Thierry Jadot, qui voit dans cet environnement l’une des origines de l’annonce la plus remarquée depuis le début de la campagne présidentielle de son cadet. « Il y avait des coups de feu du samedi matin au dimanche soir, ça nous a toujours beaucoup perturbés. Aujourd’hui, les chasseurs ont des gilets fluos mais à l’époque, ils étaient plutôt déguisés en soldats et ça rendait la forêt dangereuse », se souvient-il. Le père a construit une maison confortable, chaque garçon a sa chambre. On y mange sain grâce à une mère « très bonne cuisinière », on s’y couche tôt, avec « beaucoup de BD et des bouquins d’aventure ». Et on vous fout la paix « si vous avez des bonnes notes ».
L’enseignement, ce n’est pas une blague chez les Jadot. La grand-mère paternelle, originaire du Loiret, a été la « première directrice d’école sous la IIIe République ». Ses trois enfants sont devenus enseignants. « C’était des hussards », résume Thierry Jadot. Du coup, à Mons-en-Laonnois, les garçons s’appliquent. Si bien d’ailleurs que Yannick saute une classe. Madame Jadot est devenue prof au collège à Laon ; monsieur Jadot, à l’IUFM, l’Institut universitaire de formation des maîtres. Les quatre garçons, dès l’école primaire, prennent le bus scolaire pour la ville, « la valeur la plus sûre pour être à l’heure », et plus tard, des vélos ou, à 14 ans, des Peugeot 103. Pour Thierry Jadot, c’est ce principe de réalité qui pousse aujourd’hui son frère Yannick à ménager les automobilistes dans le rétablissement d’une taxe carbone. Un point que François de Rugy a remarqué lui aussi. « Il a passé son temps à dire que l’alpha et l’oméga, c’était la fiscalité écologique et, en 2018, il dit que la politique de Macron, c’est de faire la poche des automobilistes : je me suis dit, c’est pas possible, c’est Dupont-Aignan qui parle », lance-t-il, en résumant à sa manière le propos.
Dans l’Aisne, où l’on se déplace donc beaucoup en voiture, chacun a sa bande de copains, les enfants sont « en permanence fourrés dehors ». Tennis le mercredi après-midi pour Yannick quand Thierry a musique. Tout le monde est « footeux » mais surtout Yannick, « le plus jeune mais pas le moins hargneux », qui joue plutôt attaquant et a scotché, dans sa chambre, un poster de Dominique Rocheteau, « l’Ange vert » de Saint-Étienne, le club-phare des années 1970. Le père, gymnaste, a posé une barre fixe et fait installer une piscine où les garçons passent le plus clair de leurs vacances, sauf quelques séjours bretons
Et la politique alors ? La famille a collé des affiches pour Mitterrand en 1981. Yannick a 14 ans. Le père milite un peu au PS, mais Thierry Jadot n’est pas sûr qu’il ait été très « assidu ». Il est surtout adjoint au maire de ce village dont le lieu emblématique est un cimetière militaire allemand qui contient les corps de 5 000 soldats ayant pris part aux différentes batailles du Chemin des Dames. Le 11 Novembre, les garçons chantent La Marseillaise devant le monument aux morts. La Grande Guerre est dans le paysage quotidien. « Dans son rapport à la République, c’est déterminant », pense Thierry Jadot, qui y lit même l’origine profonde de la présence de son frère à la manifestation de policiers le 19 mai dernier, devant l’Assemblée nationale, après le meurtre d’un agent lors d’un contrôle.
Les soldats sacrifiés, les stigmates de la guerre, il a ça en lui, c’est dans nos gènes. Vous ne balayez pas ça d’un revers de main.
Yannick Jadot y est allé, contrairement à son parti, Europe Écologie - Les Verts. Delphine Batho, coordinatrice nationale de Génération écologie et alors candidate à la primaire
Un jour, il faut bien sortir de l’Aisne. Ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas de fac à Laon. Le fantasme paternel s’attache au métier d’ingénieur
« À l’époque, on ne supporte pas les mecs de l’Unef-ID, passés au PS, des mecs ultraviolents et pas démocrates. La Déferlante, c’est un mouvement unitaire pour rassembler de l’extrême gauche jusqu’aux barristes, avec l’idée qu’on refuse les magouilles, les choses d’appareil », se rappelle-t-il. Il y a donc plusieurs tentatives de rassemblement dans la vie de Yannick Jadot. « Le point central de notre mobilisation, c’était l’ordre social. La plupart des étudiants étaient des filles ou fils de CSP+. On militait pour d’avantage de boursiers, on voulait montrer que la lisière du monde ne s’établissait pas aux limites du XVIe arrondissement », se rappelle Baptiste Venet, un camarade de deux ans son cadet, devenu enseignant-chercheur et codirecteur du master développement durable et responsabilité des organisations dans cette même fac. L’organisation syndicale comprend un journal gratuit, crée un tremplin rock et lance des conférences comme celle intitulée « Y a-t-il une gestion de gauche des entreprises ? ».
C’était un étudiant qui se détachait du groupe et du fond de l’amphi par sa taille et par son ton, déjà un peu leader.
Parce que justement, Dauphine est à droite. Les futurs économistes y sont « comme des chiens dans un jeu de quilles, considérés au mieux comme des punks, au pire comme des gens à sortir très rapidement ». « Ce qui ennuyait beaucoup les autres, c’est qu’on réussissait nos études, cela nous rapprochait du corps enseignant. Et Yannick était un excellent étudiant », résume Baptiste Venet. Cela n’a pas échappé à Pierre Jacquemot, son prof en maîtrise d’économie du développement puis en première année de doctorat, qui se souvient d’un jeune homme qui « se détachait du groupe et du fond de l’amphi par sa taille et par son ton, déjà un peu leader ». Quand Pierre Jacquemot est nommé en 1989 chef de mission de coopération et d’action culturelle à Ouagadougou, au Burkina Faso, il recrute Yannick Jadot comme économiste. Le capitaine et président révolutionnaire Thomas Sankara a été assassiné deux ans auparavant. Son compagnon d’armes, Blaise Compaoré, s’installe après le putsch qui a suivi le meurtre. À 22 ans, c’est l’aventure ! Yannick Jadot en a pour dix-huit mois à produire des notes de terrain. Il parcourt le pays avec l’autre recrue de Pierre Jacquemot, Pascal Brice, promis à une carrière de haut fonctionnaire. Les deux jeunes sont grands et blonds. Yannick soutient toujours Saint-Étienne ; Pascal, le FC Nantes, ville où il a grandi. Ils se marrent bien. Les voilà en brousse, poussant régulièrement jusqu’à Toussiana, dans le sud du pays, une région « couverte de manguiers » dans le souvenir de Pascal Brice, en visite dans le village natal de Justin Damo Baro, le jeune ministre de l’Économie et des Finances de Thomas Sankara. « Il nous a adoptés, on le faisait parler. À travers lui, on écoutait l’histoire du pays et des chocs sociaux », raconte celui qui demeure trente ans plus tard un ami intime et écouté du désormais candidat à la présidentielle française.
Était-il écolo, ce jeune Jadot ? « Je ne pourrais pas le dire, mais je pense que cette expérience a été décisive. La pauvreté et l’énergie vitale de ce pays, c’était un enseignement pour ces jeunes Français. Le contact avec la désertification, la sécheresse, la lutte contre l’érosion, tout ceci a façonné ses représentations des questions de développement », estime Pierre Jacquemot, devenu ensuite ambassadeur de France dans plusieurs pays africains. Pascal Brice, énarque, va bientôt rejoindre les cabinets ministériels socialistes, avant l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, et la Cour des comptes. Yannick Jadot a 23 ans, mesure un mètre 92 et choisit son terrain : ce sera les ONG et le voyage. En avant la musique !