Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenu : Jean-Pierre Simonnet, né le 7 août 1952 à Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, célibataire, coursier, demeurant chez ses parents, 4, cité des Malassis, à Vitry-sur-Seine, et actuellement détenu au centre professionnel d’Écrouves, en Meurthe-et-Moselle, de nationalité française.
Attendu que le 4 juillet 1971, vers 1 h 20, au Kremlin-Bicêtre, Simonnet, titulaire depuis deux mois seulement du permis de conduire, circulait à une vitesse d’environ 120 km/h au volant de sa DS 19 Citroën dans le couloir de gauche de la demi-chaussée de l’avenue de Fontainebleau qui en comporte trois, lorsqu’il heurta, avec l’avant de son véhicule, un scootériste, Perrier Basile, âgé de 47 ans, circulant dans la même direction que lui et qui s’était porté sur la partie gauche de la chaussée dans le but de tourner à gauche au prochain carrefour ; attendu que projeté à 45 mètres du point de choc, Perrier fut retrouvé sur la ligne médiane, très grièvement atteint ; qu’hospitalisé, il devait décéder le même jour à 5 h 30 des suites de ses blessures, l’autopsie ayant révélé que la mort était due à une fracture de la base du crâne. Attendu que l’examen des lieux a permis de découvrir des traces de freinage du prévenu sur seize mètres avant le choc ; attendu qu’il résulte d’une expertise technique et de l’audition de plusieurs témoins que la cause génératrice de l’accident est la vitesse excessive et inconsidérée du prévenu qui, peu avant le choc, avait “fait la course” à très vive allure avec une autre voiture, tandis qu’aucune faute ne peut être reprochée à la victime qui avait tendu le bras gauche avant de se rapprocher de la ligne médiane jaune continue et dont le scooter était régulièrement éclairé à l’arrière.
Attendu dès lors que l’imprudence de Simonnet est établie et que le délit d’homicide involontaire est caractérisé à son égard, ce qu’il n’a d’ailleurs pas contesté à l’audience, se bornant à minimiser sa vitesse et à déclarer qu’il n’avait vu le scootériste qu’à la dernière minute ; que le lieu de l’accident était éclairé normalement. Attendu que le prévenu a fait plaider sur le plan civil un partage de responsabilité, mais que, selon les conclusions de l’expertise technique, dont le tribunal adopte la motivation, la victime n’a commis aucune faute en se portant sur la gauche de la route après avoir averti de sa manœuvre les autres usagers ; qu’il y a lieu de retenir l’entière responsabilité civile du prévenu.
Attendu que la victime Perrier Basile était divorcé par jugement du 29 janvier 1960 de dame Champagne Bernadette, institutrice non remariée, que trois enfants étaient issus de cette union, dont deux sont majeurs et le troisième mineur, Philippe Perrier ; que Perrier Basile versait une pension alimentaire à son ex-épouse. Attendu que dame Champagne Bernadette se porte partie civile au nom de son fils mineur et réclame 20 000 francs à titre de dommages intérêts. Attendu que Philippe Perrier, âgé de 20 ans, travaille comme mécanicien au salaire mensuel de 1 100 francs, que le tribunal estime devoir lui accorder à titre d’indemnisation, pour le décès de son père, la somme de 10 000 francs, toutes causes confondues.
Attendu que dame Régnier Julie, célibataire, majeure, déclare vivre maritalement depuis 1954 avec Perrier Basile et faisant valoir que son concubinage était notoire, stable et non illicite au jour de l’accident, son amant étant divorcé depuis 1960, réclame, à titre personnel, une indemnisation de 250 000 francs, dont 50 000 francs en réparation de son préjudice moral, 198 000 francs pour son préjudice matériel, 9 367 francs en remboursement des frais d’obsèques, 500 francs pour perte du scooter. Attendu qu’il résulte des documents produits et notamment d’une attestation de monsieur François Perrier, brigadier des gardiens de la paix en retraite et frère du de cujus, que la victime vivait bien en concubinage depuis de nombreuses années avec la demoiselle Régnier Julie, que ce concubinage stable et licite ouvre droit à indemnisation en faveur de la partie civile ; attendu, en outre, que la dame Régnier demande 50 000 francs en réparation de son préjudice moral, que le tribunal, compte tenu de l’absence de lien matrimonial avec le de cujus, réduit cette indemnisation à 10 000 francs.
Attendu que la dame Régnier demande, en qualité d’administrateur légal des biens de son fils mineur Gérard Régnier, qu’elle présente comme né le 2 septembre 1955 de ses relations avec le de cujus, une somme de 59 201 francs en réparation de son préjudice matériel et 50 000 francs pour son préjudice moral ; attendu qu’il résulte des pièces communiquées que le jeune Régnier Gérard est l’enfant naturel reconnu de Régnier Julie, qu’il était considéré comme le fils du de cujus et vivait avec Perrier Basile et sa concubine, qu’il poursuit ses études, que le défunt l’entretenait, que le tribunal estime à 20 % sa part dans le revenu annuel du défunt. Attendu que les frais dont le remboursement est demandé, au titre du préjudice matériel, soit les frais d’obsèques, d’inhumation et de sépulture sont justifiés.
Le tribunal déclare Simonnet Jean-Pierre coupable d’homicide involontaire ; condamne Simonnet Jean-Pierre à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et 1 000 francs d’amende. Ordonne la suspension de son permis de conduire pendant un an, avec exécution provisoire ; dit que Simonnet est seul responsable de l’accident, reçoit les parties civiles en leurs interventions ; condamne Simonnet à payer à la dame Champagne Bernadette la somme de 10 000 francs à titre de dommages intérêts, à la dame Régnier Julie, à titre de dommages intérêts, la somme de 10 000 francs en réparation de son préjudice moral et la somme de 159 325 francs en réparation de son préjudice matériel ; à la dame Régnier Julie, ès qualité d’administrateur légal des biens de son fils naturel mineur reconnu Régnier Gérard, à titre de dommages intérêts, 32 906 francs en réparation de son préjudice matériel et 10 000 francs en réparation de son préjudice moral. »