Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenu : Rabah Hanaili, né le 13 janvier 1936 à Fenaïa, en Algérie, demeurant 9, rue du Faubourg Saint-Antoine à Paris.
Attendu que le 31 décembre 1971, vers 17 h 45, le sieur Hanaili Rabah circulait au volant d’un véhicule Simca 1501 lui appartenant sur le boulevard périphérique ; que, venant de la porte des Lilas, il se dirigeait vers la porte de Montreuil en empruntant le couloir de droite. Attendu qu’à hauteur de la bretelle venant de la porte de Bagnolet, il perdit le contrôle de son véhicule qui montait, en partie, sur le trottoir et heurtait un réverbère. Attendu que le conducteur et les passagers du véhicule étaient sérieusement blessés ; que Bellil Abdelkader, qui occupait la place avant droite, décédait à son arrivée à l’hôpital ; que Baour Ameziane, qui se trouvait à l’arrière, était atteint de blessures qui entraînaient une incapacité temporaire totale supérieure à huit jours.
Attendu que Hanaili déclare n’avoir aucun souvenir des circonstances de l’accident ; qu’il affirme, toutefois, qu’il roulait à allure normale, ce qu’atteste le témoin Guéguen, et que les freins de son véhicule fonctionnaient de façon défectueuse. Attendu que l’expert Wurmsser, commis par le procureur de la République pour examiner le véhicule et rechercher les causes de l’accident, constate qu’il n’a pu vérifier si un organe essentiel du véhicule avait pu avoir une défaillance, en raison des graves avaries subies à l’avant, et n’avoir rien relevé de défectueux dans les divers organes de la voiture qu’il a pu examiner. Attendu que la police a relevé sur le trottoir une trace oblique longue de dix-neuf mètres, paraissant laissée par la roue avant droite du véhicule dont le pneumatique n’était pas crevé ; que l’expert estime que la longueur de cette trace indique que le conducteur avait eu la possibilité de freiner ainsi que d’éviter le réverbère en effectuant un redressement de la direction du véhicule. Attendu qu’une absence de maîtrise du conducteur est à l’origine de l’accident, qu’elle trouve notamment son explication dans l’état de fatigue d’Hanaili, souligné par le passager Baour qui a déclaré, lors de son audition par les services de police, qu’il avait eu “l’impression que Hanaili s’endormait sur le volant” et qu’il lui avait recommandé de faire attention.
Attendu qu’il y a lieu, en conséquence, de déclarer Hanaili coupable des délits d’homicide et blessures involontaires. Attendu qu’il existe des circonstances atténuantes en faveur du prévenu ; attendu que ce dernier n’a jamais été condamné, que les renseignements recueillis sur son compte ne sont pas défavorables, qu’il paraît digne d’indulgence. Attendu que dame veuve Bellil Abdelkader s’est constituée partie civile pour demander, tant en son nom personnel qu’au nom de ses enfants mineurs, réparation du préjudice résultant du décès de Bellil ; que la Caisse primaire centrale d’assurance maladie de la région parisienne intervient pour obtenir le remboursement du capital décès (4 950 francs), qu’elle a payé pour le compte de son assuré. Attendu qu’aucune faute ne pouvant être reprochée à la victime, il échet de déclarer Hanaili entièrement responsable du décès de Bellil.
Attendu qu’à l’époque de l’accident, Bellil, ouvrier spécialisé à l’entreprise Cusenier, percevait un gain mensuel d’environ 1 200 francs, qu’il a laissé une femme âgée de 35 ans et quatre enfants mineurs respectivement âgés de 7, 6, 3 et 1 ans. Attendu que compte tenu de l’âge de la victime, 37 ans, des ressources qu’elle apportait effectivement à sa famille, déduction faite de ses dépenses personnelles, le tribunal a les éléments suffisants d’appréciation pour évaluer le préjudice matériel (frais funéraires compris ) subi par la dame veuve Bellil à la somme de 76 000 francs, pour Amina et Fatiha Bellil à la somme de 26 000 francs pour chacune et pour Ramzi et Nadia Bellil à celle de 22 000 francs pour chacun. Attendu que le préjudice moral subi par la veuve et les enfants est important, qu’il est équitable de le fixer à la somme de 20 000 francs pour la veuve, et à celle de 15 000 francs pour chacun des enfants. Attendu qu’en raison de l’urgence des besoins des victimes, il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire pour partie des condamnations prononcées en faveur de la veuve Bellil et de ses enfants.
Le tribunal déclare le nommé Hanaili Rabah coupables des délits d’homicide et de blessures involontaires, condamne le nommé Hanaili à la peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis et à 500 francs d’amende, reçoit la dame veuve Bellil et la Caisse primaire centrale d’assurance maladie de la région parisienne, déclare Hanaili Rabah entièrement responsable des conséquences de l’accident ; condamne Hanaili à payer à la dame Veuve Bellil : pour elle-même, en complément du capital décès de la Caisse primaire centrale d’assurance maladie de la région parisienne, la somme de 91 050 francs, en réparation du préjudice tant matériel que moral résultant du décès de son époux ; pour chacune de ses enfants mineurs, Amina et Fatiha Bellil, la somme de 41 000 francs, en réparation du préjudice matériel et moral résultant du décès de leur père ; pour chacun de ses enfants mineurs Ramzi et Nadia Bellil, la somme de 37 000 francs, en réparation du préjudice matériel et moral résultant du décès de leur père ; dit que les sommes allouées aux mineurs seront employées conformément à la législation en vigueur sous la surveillance du juge des tutelles compétent ; condamne Hanaili à payer à la Caisse primaire centrale d’assurance maladie de la région parisienne la somme de 4 950 francs en remboursement du capital décès alloué à la dame veuve Bellil ; ordonne l’exécution provisoire des condamnations prononcées en faveur de la dame veuve Bellil, et de ses enfants à concurrence d’une somme de 30 000 francs pour la veuve et de 15 000 francs pour chacun des enfants. »