Alors qu’un certain Michel Fourniret multiplie les agressions sexuelles de jeunes filles (lire l’épisode 1, « Fourniret, naissance d’un prédateur »), une bande de garçons déguisés en bourgeois braque en série les banques des beaux quartiers de Paris, entre 1981 et 1984. Armés de marteaux et de burins, ces voleurs des bas-fonds qui portent perruques et fausses barbes sont affublés du surnom de « gang des burins » ou « gang des postiches ». Ingénieux et gonflés, ces bandits pillent les coffres à la chaîne et amassent un tas d’or. Un magot considérable. Loin du monde glauque du pervers des Ardennes, les Postiches se construisent un monde meilleur.
L’idée géniale a germé un soir de septembre 1981 au fond d’un bistrot du quartier populaire de Belleville à Paris. Trois amis de 25 à 30 ans, ayant déjà une grande expérience des banques, se plaignent des parades destinées à enrayer l’épidémie de hold-up des années 1970 : sas de sécurité, vigiles à l’entrée, caméras de surveillance et fonds de caisse minables : « Au guichet, y a plus rien. 30 000 balles à tout casser, tu parles ! » À 30 ans, l’ex-miséreux André Bellaïche, Juif tunisien devenu voleur à 10 ans pour chasser la pauvreté qui lui collait à la peau, et Robert Marguery, fils d’un fondeur de Bagnolet rêvant de piloter des bolides, se creusent la cervelle pour « trouver de l’oseille ». La quête de leur vie.
Né en 1950 à Tunis, André Bellaïche a vécu dans un camp de réfugiés du nouvel État d’Israël avant de débarquer à Paris dans une cave à Belleville, 6 passage de l’Atlas, avec ses nombreux frères et sœurs. Comme les autres aînés, André grandit dans la rue et n’use pas trop ses fonds de culotte à l’école Simon-Bolívar, à l’ombre des Buttes-Chaumont qu’il prend pour une montagne. Il commence par voler des bouteilles consignées pour gagner des sous. En 1962, son père, artisan peintre, est emprisonné pour banqueroute et sa mère expulsée du logement. À 12 ans, il est placé à l’Office de protection des enfants juifs de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). « Votre maison est très bien, mais c’est trop tard pour moi. Je ne peux pas m’empêcher de voler. Il me faut de l’argent », dit-il au directeur. Il s’échappe pour retrouver ses copains de la rue. Il s’acoquine avec des gamins pickpockets, Mohamed Badaoui, dit « Bada », fils d’un coiffeur marocain de Belleville, et Bruno Berliner, un sosie d’Achille Talon surnommé « Sœur Sourire ». Ensemble, ils volent les bijouteries, détournent les cartes bancaires et dépouillent les livreurs d’appareils électroménagers qu’ils revendent pour pas cher et deviennent des héros dans le quartier : « Grâce à nous, Belleville est devenu riche. Tout le monde a eu la télé couleur, le lave-linge, la gazinière, le frigo et les briquets Dupont », aime à raconter André Bellaïche.
On n’est pas des enfants de chœur. On est des génies ! On en est à notre vingtième coup, ça fait deux ans que la danse se poursuit pour nous. Et d’ailleurs, on en a rien à foutre.
Ce nécessiteux passe aux hold-up pour prendre sa revanche. Il signe avec deux copains, le « seigneur Bada » et Alain Lacabanne, un fils de gendarme, le premier braquage avec prise d’otages en France, le 27 février 1975. Ce n’était pas prévu ainsi. Cet après-midi-là, à la Société centrale de banque, dans le IIIe arrondissement de Paris, le moteur de leur Austin Mini orange garée en double file tourne encore lorsque le trio masqué de bas nylon ressort avec 50 000 francs en poche. Mais la police les attend, car le caissier a actionné l’alarme : Alain Lacabanne tue le guichetier puis est abattu devant l’agence. Dédé Bellaïche, alias « Pierrot », et Bada se replient à l’intérieur avec le personnel, puis négocient par téléphone avec le commissaire Broussard, de l’antigang. Les deux braqueurs exigent « 100 millions chacun, et une voiture rapide ». À 19 h 30, « Pierrot » s’impatiente et se confie à un journaliste qui l’appelle : « On fait ça parce qu’on n’a pas eu de chance ! Les flics font la forte tête. À 20 heures, nous abattrons un otage. Je me flinguerai ensuite. Je ne veux pas finir ma vie en prison. On n’est pas des enfants de chœur. On est des génies ! On en est à notre vingtième coup, ça fait deux ans que la danse se poursuit pour nous. Et d’ailleurs, on en a rien à foutre. » Tellement rien à perdre que le commissaire Broussard n’a aucune prise sur ces « malfaiteurs » et finit par céder. À 2 h 25 du matin, les deux braqueurs récupèrent deux sacs de 100 briques chacun (1 million de francs), oublient d’en emporter un et s’enfuient à bord d’une Alfa Romeo avec trois otages – trois femmes. Croyant pouvoir les pister, la brigade de recherche et d’intervention (BRI) a équipé le bolide d’un bip espion… mais d’une portée de 60 mètres seulement. Les deux gangsters sèment les flics dans le quartier de Barbès et se volatilisent avec leurs fiancées. Ainsi, Laurence, fille de dentiste du très chic VIIe arrondissement s’envole avec son amoureux André Bellaïche, au Maroc, en Grèce, en Turquie, puis rentre à Paris pour accoucher d’une petite fille, le 19 septembre 1976. Recherchés, les parents ne déclarent pas sa naissance à la mairie.
Deux ans plus tard, Mohamed Badaoui et André Bellaïche ne se présentent pas devant la cour d’assises de Paris et sont donc condamnés au maximum : la peine de mort. Plus que jamais clandestins, les compagnons de Belleville redoublent de prudence. Mais un contrôle de police pour un feu rouge grillé vise Bada qui dégaine, et meurt bêtement d’une balle dans la tête. À compter de ce 28 octobre 1980, André Bellaïche et ses amis de Belleville se jurent « de faire en sorte que plus personne ne meure jamais » dans leurs coups.
Heureusement pour ces garçons plutôt proches de la gauche anar, François Mitterrand accède à la présidence de la République en mai 1981 et le garde des Sceaux Robert Badinter fait abolir la peine de mort, le 18 septembre. Ouf, André Bellaïche a échappé à la guillotine. La semaine suivante, le voilà attablé dans un café avec le Montreuillois Marguery et l’inventif Berliner, en train de gamberger sur un plan pour contrer les équipements de sécurité des banques et de monter ce qui deviendra le gang des postiches. André Bellaïche, en cavale depuis six ans, a énormément besoin « d’oseille » pour financer l’appartement de sa compagne et sa fillette square Mozart, dans le très chic XVIe arrondissement. Bruno Berliner ne supporte pas la dèche. Ce rejeton d’un prétendu agent immobilier de la rue de Belleville – qui trafique avec un gros escroc israélien – veut toujours amasser plus. Robert Marguery, dit « Bichon », sort de prison et se déclare « prêt à repartir à la guerre ».
Et soudain, eurêka, c’est « Sœur sourire » Berliner qui a la révélation : « On pourrait faire les “coffres-clients”. Ça s’ouvre tout seul, ces boîtes à sardines ! » Il fait référence aux minicasiers Fichet-Bauche loués 300 francs par mois par les particuliers pour y déposer tableaux, lingots, bijoux, espèces et pièces d’or. Il n’a pas échappé à ce trio, lecteurs de journaux, que les chefs d’entreprise et les nantis mettent de l’argent à gauche dans ces petits coffres, mécontents du gouvernement socialo-communiste qui menace de les taxer. Ces « boîtes à sardines » sont pleines à craquer en 1981, rappelle Robert Marguery : « C’est là que les riches mettent l’oseille et les lingots, surtout depuis l’arrivée de la gauche. C’est tout bénef pour nous. » Et c’est un jeu d’enfant de les fracturer si l’on en croit l’expérience de Bruno Berliner. Trois ans plus tôt, il avait embarqué le coffre-fort du bowling de la Matène, à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), un dancing légendaire où Les Tontons flingueurs ont été en partie tournés. À l’intérieur, il a découvert plein de petits coffres-clients des sociétés et des comités d’entreprises qui venaient jouer au bowling. Marguery se souvient du récit de Berliner : « Il a tiré dans le coffre-fort à la chevrotine, avec un fusil à pompe et des balles à ailettes, puis il a fait sauter les serrures des petits coffres au marteau et au burin. C’était du beurre ! »
Le hic, c’est que ces minicasiers remplis de richesses sont enfermés à l’intérieur de salles fortes, protégées par des alarmes durant la nuit et le week-end. Mais pas aux heures d’ouverture. Le trio décide donc d’opérer en plein jour et de prendre en otages clients et employés, le temps de percer les « boîtes à sardines » au sous-sol. Pour franchir sans encombre les sas des banques, il faut « bien présenter ». Il suffit de se déguiser en grands bourgeois et de se grimer. Ils achètent du fond de teint, du maquillage, des costumes et des postiches de bonne facture. Ce mardi 29 septembre 1981 vers midi, les voilà partis pour tester leur plan à la BNP de la rue du Docteur-Blanche, dans le XVIe arrondissement. Ils menacent les employés pour qu’ils restent tranquilles, ouvrent forcent huit coffres de particuliers en une demi-heure, et raflent 11 000 francs dans la caisse, puis repartent. Sans aucun souci. Ils rempilent aussitôt un peu plus loin. Dans l’agence Mirabeau de la Société générale, rue de Rémusat, le grand Marguery en blazer, barbe et moustache noires, le « joufflu » Berliner en veste kaki, et Bellaïche en vieux monsieur postiché en poivre et sel, passent une heure à « taper à la masse et au burin », empochent en sus « 33 briques » enfermées dans la chambre forte de la banque et puis s’en vont. Ce jour-là, ces trois garçons de Belleville et Montreuil ont donné naissance au gang des postiches.
L’équipe a bientôt besoin d’un casseur supplémentaire et embauche Patrick Geay, dit « Pougache », ami d’enfance d’André Bellaïche. Pas manchot, ce rejeton d’une serveuse de bar et d’un Italien inconnu est réputé pour son habileté et son courage. À la banque Vernes de la rue Fontaine, le mardi suivant, les quatre potes se déchaînent pendant 1 h 10 sur 136 coffres qu’ils fracturent au pied-de-biche et à la masse. Ils raflent plus de 10 millions de francs. Dans le calendrier intime des Postiches, ce 6 octobre 1981, jour de l’assassinat du président égyptien Anouar el-Sadate, restera gravé comme date officielle de la création du gang. Et le 27 octobre, premier anniversaire de la disparition de Mohamed Badaoui, ses amis dévalisent la Société générale de Saint-Gratien (Val-d’Oise) pour venger sa mort.
Les deux cerveaux de Belleville, Bruno Berliner et André Bellaïche, revendent l’or, écoulent les bijoux et étoffent le gang. Entre 1982 et 1983, deux « ouvriers » de talent rejoignent l’équipe. Michel Chellaoui d’abord, un monte-en-l’air de Bagnolet qui fit un gros casse avec Robert Marguery en 1974 au Crédit de la Bourse, spécialisé dans le commerce de l’or. Jean-Claude Myszka ensuite, un grand blond d’Aubervilliers d’origine polonaise, un « tireur de bagnoles » qui a connu Bruno Berliner à l’institution Weiss pour enfants difficiles. La bande reste chapeautée par les gars de Belleville qui choisissent les banques à l’avance, initient les recrues et répartissent les tâches : les casseurs cagoulés ou masqués en bas à percer les coffres ; les élégants braqueurs en loden ou en costume en haut, à l’accueil du public. Parole de Postiche, « le coup de génie, c’est d’associer ces deux corps de métier dans une même équipe ».
Pour égarer les témoins, ces voleurs rusés s’échangent les costumes, s’attribuent des surnoms à la noix, et baragouinent en verlan, en yiddish ou en argot. Afin d’embrouiller les enquêteurs, les casseurs sèment des leurres. « Un paquet de cigarettes avec les empreintes de quelqu’un d’autre » ou « un objet, genre un parapluie, qui entraîne les policiers sur une fausse piste », comme le raconte Michel Chellaoui. Le 17 novembre 1983, ces types gonflés pillent 112 coffres et volent 700 000 francs au Crédit du Nord, rue Clément-Marot, dans le VIIIe arrondissement de Paris, à vingt mètres d’un commissariat !
Leur tactique, c’est d’organiser des campagnes de braquages de deux semaines et puis de partir au soleil, loin de Paname. Sauf Berliner et Geay, qui sont perdus sans leur ville et se terrent quelques temps : « Dans six mois, les flics auront épuisé les pistes et nous auront oubliés », supposent les Postiches. Une fois ce délai de « prescription » écoulé, Berliner, toujours vissé à Belleville, bat le rappel de ses troupes de globe-trotters qui rappliquent à Paris, tout dorés et régénérés. Leur point de ralliement pour « repartir à la guerre » est un café en bordure du bois de Vincennes, où les bandits se rejoignent avec armes et bagages. Ils ne manquent pas d’apporter leurs costumes de scène, leurs faux papiers, leurs postiches et perruques, lunettes et accessoires en tout genre, comme ces bombes aérosols grises pour se teindre les cheveux qu’ils ont achetées en se bidonnant dans des magasins de farces et attrapes.
Les voilà soudés les uns aux autres telle une formation commando pendant deux semaines, et basés dans des suites impersonnelles du Flatotel, de l’Ibis ou du Nikko. Ils s’interdisent de rentrer à la maison pour voir leurs femmes et ne se montrent pas dans les boîtes de nuit. Ils entendent ainsi déjouer les « opérations aller-retour » des condés de l’antigang qui, en général, prennent les voyous en filature depuis leur domicile ou leur QG puis vont les cueillir à la même adresse à l’arrivée. Les Postiches font des conciliabules dans le huis clos feutré de leur suite d’hôtel mais ne se risquent pas à bavarder en dehors. Car ils ont fait le serment de ne jamais plonger à cause d’une indiscrétion, et détestent les balances. Ils repèrent a minima, pour ne pas sa faire prendre. Pendant les hold-up, ils écoutent un scanner branché sur les fréquences policières qu’ils posent sur le guichet de l’agence. Dédé Bellaïche a l’habitude de dire que « la force des Postiches, c’est ce mélange d’improvisation et de professionnalisme. Tous gonflés à un point que c’en était une honte ! »
Dans les Postiches, il n’y a plus ni Juifs ni Arabes ni Français, plus de pauvres ni de riches, mais tous à égalité qui partagent l’argent et décident ensemble.
En général, la bande braque six ou sept banques d’affilée, puis part dépenser l’oseille au soleil, à des milliers de kilomètres. Les Postiches passent souvent l’hiver en Thaïlande, en famille, et font du ski dans les Alpes. En Asie, Marguery visite les temples bouddhistes et s’aventure dans la jungle, dont il rapporte des animaux exotiques. Chellaoui, lui, se ressource dans la brousse, se paie des safaris au Tchad ou au Sénégal. Bellaïche, lui, s’envole aux États-Unis ou à Tahiti. Ses photos-souvenirs le montrent bronzé et réjoui à bord d’un Boeing ou torse nu dans un fauteuil tahitien avec un sourire éclatant. Sur un autre cliché (ci-dessus), il lève les bras et fait le signe de la victoire, les doigts en V, devant le pont de Brooklyn à New York.
La composition de ce gang tient en une savante alchimie qui allie des personnalités et des origines diverses. Métissés et bigarrés, les Postiches unissent l’Ashkénaze d’Europe centrale Berliner, porté sur la chose militaire, le Français pure souche bouddhiste et zen Marguery, le Juif tunisien de Belleville Bellaïche, trait d’union entre les braqueurs et les casseurs, mais également l’Arabe « Chat de gouttière » solitaire Chellaoui, et le « tireur de bagnoles » polonais fantasque Myszka. Sans compter un Manouche, un « Rital » et un autre blouson doré… L’apatride Bellaïche a l’habitude de comparer les Postiches au gang des tractions avant de l’après-guerre : « Des mecs de la rue mélangés, avec le Juif, le Français… Dans les Postiches, il n’y a plus ni Juifs ni Arabes ni Français, plus de pauvres ni de riches, mais tous à égalité qui partagent l’argent et décident ensemble. » Dans l’action, le gang s’équilibre entre les jusqu’au-boutistes, les mesurés et les suivistes.
Les Postiches sont généreux, à l’instar de Bruno Berliner qui est du genre à filer « une brique » à un clochard ou à dévaliser les magasins de disques pour que son « frangin chanteur devienne une vedette du show-biz ». Ainsi, en 1982, l’année du tube Louise de son aîné Gérard Berliner, Bruno achète par centaines son quarante-cinq tours pour le propulser encore plus haut dans le hit-parade. Il flambe aussi son pognon dans des bagnoles de luxe, une Rolls-Royce, une Lamborghini, puis une Golf GTI couleur or. Il acquiert des appartements. Plein aux as, l’ex-misérable de Belleville André Bellaïche en fait profiter ses frères, qui investissent dans des commerces, « redistribue aux nécessiteux tel Robin des Bois » et se paie des trucs de bourgeois : « La première classe en avion, les berlines de luxe, les meilleurs restaurants, les appartements à Neuilly ou dans le XVIe. Si tu prends le plus beau, tu penses qu’il ne peut rien t’arriver, que tu es immunisé. Ce sont des idées de pauvre. »
Au mois de mars 1984, c’est l’apogée du gang des postiches qui déboulent maintenant à huit ou à douze dans les banques, sapés comme des bourgeois ou façon carnaval. En huit jours, l’insaisissable bande attaque quatre fois ! Le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre en a assez de ces énergumènes qui narguent le gouvernement socialiste, ridiculisent la police et effraient les riches. Ces braqueurs qui pillent lingots et biens non déclarés annoncent parfois « Contrôle fiscal » au lieu de « C’est un hold-up » avant de confisquer ces fortunes cachées. Le 6 mars, pour mardi gras, sept ou huit gangsters entrent à la Société générale de la rue de Passy, dans le XVIe, fracassent 132 coffres pleins à craquer en vingt-huit minutes, soit une cadence de treize secondes chacun, à la masse et au burin, et repartent avec 400 millions en lingots d’or, bijoux et billets.
La brigade de répression du banditisme (BRB) patine. Pas un seul tuyau fiable ne remonte à leurs oreilles via les indicateurs ou les receleurs. Pas la moindre indiscrétion. À croire que ces voleurs n’évoluent pas dans le milieu traditionnel. Avec deux hold-up le 8 mars, les pionniers du gang des postiches ont déjà réalisé dix-huit attaques de banques en région parisienne : 1 300 coffres-forts de particuliers pillés, peut-être 187 millions de francs lourds de butin en lingots, pièces d’or et billets. Sans compter plus de 2 milliards de centimes en espèces.
Le 9 mars 1984, le ministre de l’Intérieur annonce une réunion au sommet place Beauvau pour contrer les Postiches. « Gang des postiches : Defferre relève le défi », titre, le lendemain, Le Parisien. Le 14 mars 1984 à 15 heures, c’est le conseil de guerre au ministère, avec les pontes de la police, de la gendarmerie et des banques. Ils décident de doter la PJ de Paris d’appareils radio cryptés, de mettre au point une stratégie spéciale dite « plan Ballon » et d’installer dans les salles des coffres des systèmes d’alarme sismiques qui se déclenchent aux secousses des coups de marteau et de burin. À l’heure exacte où Deferre peaufine sa riposte, les provocateurs des Postiches attaquent le Crédit commercial de France, avenue de Villars, dans le VIIe arrondissement de Paris. Le lendemain, la une du Parisien affiche : « Le pied de nez des Postiches à la police »
Ce même jour, les Postiches défient encore la police au Crédit lyonnais de Chennevières-sur-Marne (Val-de-Marne), mais se retrouvent coincés à trois dans le sas de la banque. Sur les photos tirées de la vidéosurveillance, Michel Chellaoui apparaît à 15 h 13 mn 59, moustache, casquette plate et lunettes en train d’essayer d’ouvrir la porte pour rentrer dans l’agence, et tourne la tête vers la caméra. À 15 h 14 mn 20, la bouille ronde de Berliner, coiffé d’un bonnet marin et à visage découvert, insiste, en vain. Dédé Bellaïche, déguisé en vieux monsieur respectable en imper mastic, ne sort pas ses mains aux doigts entourés de scotch (pour éviter de laisser des empreintes) de ses poches. Bientôt, les voleurs tournent la tête dans tous les sens, réalisant le piège qui se referment sur eux. À 15 h 14 mn 57, le trio sort les calibres, se range en ligne dans la porte de sortie. Échaudés, les Postiches décrochent. Les photos des trois compères en action sortent dans Paris Match le 10 mai 1984 : le sosie de Gérard Jugnot, Achille Talon et le vieux à l’imper. Ils se trouvent parfaitement reconnaissables et se terrent en région parisienne. À coup sûr, les flics vont les retrouver. Pourtant, la BRB se perd toujours en conjectures.
Comme rien ne filtre du « milieu » traditionnel, la brigade de répression du banditisme doute que les Postiches appartiennent au milieu français. À moins qu’il s’agisse d’une émanation du fameux gang de la banlieue sud de Paris ou de l’équipe de truands corses de la Brise de mer ? De mémoire de flics, on n’a jamais vu des pilleurs de banques ramasser autant d’argent. Il paraît inconcevable que des « voyous de droit commun » raptent autant de lingots d’or et de billets de banque pour leurs besoins personnels. Ces sommes pharaoniques n’alimentent-elles pas plutôt un groupuscule politique ? En ces temps secoués par les attentats d’Action directe, les policiers se persuadent que les insaisissables Postiches financent une cause révolutionnaire. Ils remarquent d’ailleurs que depuis l’arrestation de Régis Schleicher, un des leaders d’Action directe, et d’Helyette Bess, la « Mamma » du groupe armé, au Pontet (Vaucluse), le 15 mars 1984, les Postiches ont disparu de la circulation. Signe ou coïncidence ?