Si un curieux avait fait irruption par hasard au procès du « groupe de Tarnac », jeudi, il serait tombé sur une scène étrange. Dans une salle d’audience bondée, la présidente du tribunal Corinne Goetzmann s’adresse, par écran interposé, à une porte vitrée obscurcie par un store. Derrière, une ombre répond à ses questions avec une voix de robot. C’est de cette manière qu’ont témoigné successivement cinq policiers, en poste à la sous-direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire en 2008. Ils ont obtenu le rare privilège de rester anonymes (lire l’épisode 1, « C’est quoi ce Tarnac ? »). Toutes les parties connaissent pourtant leurs identités, qui figurent dans la procédure, et se sont « habituées à l’existence de ces êtres qui ont des noms », selon la formule de Julien Coupat. Mais les révéler est passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Depuis le début du procès, tout le monde a fauté une ou plusieurs fois. Les prévenus, leur avocat Jérémie Assous, mais aussi le procureur et la présidente ont lâché les vrais noms à la place des identifiants standards : T1, T2, T3, T4 et T5. Même face à la porte vitrée en personne, deux avocats ont eu ce réflexe, somme toute assez naturel, d’appeler leur interlocuteur par son nom.
Je me suis attaché à retranscrire le plus fidèlement possible ce que j’ai vu et je me retrouve accusé d’avoir commis un crime.
Les cinq témoins de la Sdat ont participé à la filature de Julien Coupat et Yildune Lévy les 7 et 8 novembre 2008 (lire l’épisode 4, « La nuit de l’invraisemblable filature »), date à laquelle il est reproché au couple d’avoir commis un sabotage sur une voie SNCF à Dhuisy (Seine-et-Marne). En préambule, chaque ombre s’est vu demander de « lever la main et dire je le jure », l’exécution du geste étant, de fait, assez difficile à apprécier. Les fonctionnaires ont eu à cœur de défendre leur travail, comme l’a fait avant eux le commissaire Fabrice Gardon, leur chef à tous, qui dirigeait la section « terrorisme international » de la Sdat jusqu’en avril 2009. Aujourd’hui numéro 2 de la PJ à Marseille, il est venu volontairement, et à visage découvert, « défendre l’honneur de la Sdat », dont l’enquête a été « injustement discréditée ». « Depuis des années, on fait le procès de l’enquête plus que le procès des mis en cause », a déploré le commissaire, pour qui le dossier de Tarnac reste « plutôt secondaire » par rapport aux dossiers jihadistes, kurdes et tamouls traités à l’époque.

Contre l’image persistante d’une affaire « politique », Fabrice Gardon a affirmé que son service de police n’a subi ni « pressions », ni « demandes extérieures pour prioriser, aller plus vite ou orienter l’enquête de telle ou telle manière ».