Il a été rattrapé par son objet d’étude. Il y a plus de dix ans, le sociologue Gérôme Truc s’est mis à travailler sur les attentats. Ou plutôt sur les réactions aux attentats, leur « réception » par les sociétés touchées. Ses enquêtes l’ont mené sur les traces des attentats de New York, Madrid et Londres. Il est devenu spécialiste non pas du terrorisme (il y en a de nombreux) mais de ce qu’il produit dans le corps social. « Combien de fois, au début, j’ai dû me justifier de bosser là-dessus ! À l’époque, cela semblait ésotérique, étrange », se souvient le chercheur, âgé de 37 ans. De 2006 à 2014, il a planché sur sa thèse, dont il a tiré un livre intitulé Sidérations (PUF, janvier 2016). Après cette somme, il s’imagine « travailler sur un autre terrain ». La dernière phrase de son livre évoque tout de même l’hypothèse d’un nouvel attentat en France. Il met un point final à sa conclusion et ajoute la date : 13 octobre 2015.
Ce sentiment d’être en proie à une attaque sur son territoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, de basculer ainsi dans une nouvelle réalité, de se découvrir soudainement “en guerre” et vulnérables dans des proportions que l’on n’osait imaginer.
Un mois plus tard jour pour jour, les attaques coordonnées à Paris font 130 morts et des centaines de blessés. La cible des terroristes s’est rapprochée. À nouveau, après Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, son « terrain », c’est son pays. Entre le 11 septembre 2001 et le 13 novembre 2015, Gérôme Truc retrouve des similarités : « Ce sentiment d’être en proie à une attaque sur son territoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, de basculer ainsi dans une nouvelle réalité, de se découvrir soudainement “en guerre” et vulnérables dans des proportions que l’on n’osait imaginer », comme il l’écrit dans les quelques pages d’avant-propos rajoutées en urgence à son livre. Celui qui est devenu enseignant dans un lycée de banlieue parisienne en 2014 reprend ses recherches. « Cela implique tout de même de se mettre soi-même à distance, de se forcer à se mobiliser comme chercheur quand tu as plutôt envie de descendre dans la rue comme citoyen », confie-t-il. Dans son bureau baigné de lumière, à l’Institut des sciences sociales du politique hébergé à l’université de Nanterre, il est impossible d’échapper à ses obsessions : les étagères sont remplies de livres consacrés aux attentats, et des unes du New Yorker ou de Time, placardées au-dessus de sa table de travail, font planer l’ombre des tours jumelles disparues.

Est-ce « normal » de se sentir concerné par les attentats quand on n’en est pas une victime ? Et qu’est-ce que cela veut dire ? Gérôme Truc, installé à une estrade pour présenter son travail lors un séminaire consacré au 13 Novembre, sourit : « J’ai mis huit ans de recherche pour formuler ça… » Le sociologue est parti d’une « question naïve », concède-t-il.