Il y a un passage obligé et ce n’est pas très agréable, mais c’est le prix à payer pour faire avancer la recherche. Cela consiste à enfiler une blouse d’hôpital, à se laisser conduire jusqu’à une pièce hermétique, à s’allonger en toute confiance sur un chariot et à glisser la tête la première dans un tube boursouflé pour subir une IRM (imagerie par résonance magnétique) pendant une heure et demie, en répondant à des consignes et des stimulations. Et encore, ce n’est qu’une partie des examens, qui durent une journée et demie. Pour les volontaires – et il y en a 192 –, cela se passe à Caen, dans un laboratoire de l’Inserm, pour le programme intitulé Remember. Grâce à cet effort, les chercheurs peuvent s’inviter dans le cerveau des rescapés du 13 Novembre pour comprendre comment fonctionnent (ou pas, ou mal) les mécanismes du souvenir. Ou plutôt ce qu’on appelle les « intrusions », ce qui est, je trouve, plus parlant pour dire le surgissement involontaire et non désiré, douloureux, d’une image ou d’un son, lié à un traumatisme.
Ces mécanismes sont-ils grippés, altérés chez les victimes des attentats ? Est-ce le cas de tous ceux qui ont été exposés au danger et à la mort ? Pourquoi certains parviennent-ils mieux à s’en sortir ? Pour l’équipe pluridisciplinaire de Remember, une partie des réponses à ces questions réside dans le cerveau (et dans la connaissance que l’on peut en avoir). Il faut donc en ouvrir le couvercle.
Les cobayes consentants sont répartis en plusieurs groupes. Environ 80 personnes appartenant au « cercle 4 », éloignées des lieux et des victimes des attentats, qui résident à Caen. Elles se plient à l’expérience et constituent un groupe témoin qui va permettre de comparer les résultats avec les individus du « cercle 1 » qui, eux, sont des victimes directes des attaques du 13 Novembre. Parmi ces 112 personnes, la moitié souffre de ce qu’on appelle le syndrome de stress post-traumatique, qui combine plusieurs critères, dont l’exposition à un traumatisme et la réminiscence des scènes vécues, et qui a été popularisé par les vétérans américains de la guerre du Vietnam.
Cette unité de recherche loge dans un nouveau bâtiment de Caen qui abrite la fac de médecine. Pour y accéder, on passe d’abord par des escaliers et des couloirs débordant d’étudiants qui s’interpellent, se déplacent bruyamment. Passé la porte de l’Inserm, on n’entend plus un bruit. L’ambiance est studieuse, les bureaux calmes. C’est un autre monde.
Le directeur, Francis Eustache, petite barbichette blanche et regard malicieux digne d’un professeur Tournesol, a travaillé sur les troubles de la mémoire, notamment dans le cadre des maladies comme l’Alzheimer.