Gilbert Plessy a garé sa Kangoo poussiéreuse sur l’arrêt du car scolaire avant de traverser la rue pour aller relever le courrier de la mairie de Molesmes. Il tombait bien, c’est lui que je cherchais depuis une heure sur les hauteurs de cette petite commune qui se déplie le long de la départementale 9. Nous sommes au sud de l’Yonne, plein ouest depuis Courson-les-Carrières, à dix petites minutes de la route nationale 151 autour de laquelle je navigue pour essayer de comprendre pourquoi le passage des routes secondaires à 80 km/h en France, qui entre en vigueur le 1er juillet mais qui a été testé depuis 2015 sur cette nationale, soulève une opposition aussi totale.
Cette quête m’a donc mené jusqu’à l’école de Molesmes, qui jouxte la mairie de la commune. L’ensemble forme un point de jonction entre le village bas et le village haut, face à un paysage de champs vallonnés, de petits bois noueux et d’exploitations agricoles qui laisse aussi poindre une rangée d’éoliennes au loin. Comme tout ce sud de l’Yonne, entre Auxerre et la Nièvre, c’est taillé comme une émission de Stéphane Bern sur les plus beaux villages de France, à peine dérangé par quelques voitures qui passent par là et trois enfants qui zonent à vélo. L’école est elle aussi un joli classique d’architecture scolaire de la IIIe République : quelques marches mènent à une entrée surmontée d’une horloge et d’une cloche en cuivre verdi, qui ouvre ensuite sur deux classes en rez-de-chaussée. La mairie occupe un côté de la cour de récréation, celui d’en face étant dévolu à un panier de basket et un petit préau pour les jours moches.
Le jour de ma visite, il faisait chaud et beau quand Gilbert Plessy a garé sa voiture en face.
Bonjour, vous êtes le maire de Molesmes ?
Oui.
Je vous cherchais, on m’a parlé de votre école qui va fermer…
Oh… Oui… »
Ce « oui » était d’une lassitude terrible. Il semblait peser des tonnes sur les épaules larges et voûtées de Gilbert Plessy, agriculteur à la retraite dont la famille « vit ici depuis trois ou quatre générations ». Son grand-père était déjà maire du village, c’est lui qui a fondé l’école en 1909. Gilbert Plessy est élu (divers droite) depuis 1995 – tout d’abord de Molesmes, puis de la commune nouvelle des Hauts-de-Forterre, qui regroupe depuis 2017 les villages de Fontenailles, Molesmes et Taingy. Soit un peu moins de 600 habitants saupoudrés sur des kilomètres de petites routes.

La commune a fait refaire entièrement l’école pour son centenaire, il n’y a même pas dix ans. Mais ce joli bâtiment fermera malgré tout ses portes à la fin de cette année scolaire.