À Longyearbyen (Norvège)
«Ce qui ne devait plus se produire s’est encore produit. Ceux qui vivaient sur la route 228 pensaient être en sécurité chez eux. Mais c’était faux. Encore. » Dans son éditorial du 24 février 2017, la rédactrice en chef du Svalbardposten hausse le ton. Hilde Røsvik n’a pourtant pas l’habitude de s’emporter ainsi dans les colonnes de l’hebdomadaire du Svalbard tiré à 2 600 exemplaires. Mais cette fois, prévient-elle, les autorités vont devoir prendre leurs responsabilités. Le mardi précédent, un peu avant midi, une nouvelle avalanche s’est abattue sur Longyearbyen, la capitale de l’archipel norvégien, sans que le nouveau système de prévention, Varsom, ne sonne l’alerte, comme lors de celle, mortelle, du 19 décembre 2015 (lire l’épisode 2, « Le jour où la neige s’est décrochée »). Dans la petite cité polaire, les dégâts matériels sont considérables : les deux immeubles près de la route 228 ont été traversés et déracinés par la cascade monstrueuse. Par miracle, aucune victime n’est à déplorer, mais 200 personnes ont dû être évacuées sur le champ. Ce logiciel « ne vaut pas un clou », tranche, sans pitié, l’éditorialiste. Les Svalbardiens ont cru les politiques et les experts, ils ont eu tort. Aujourd’hui, ils « ont peur » : « la confiance est brisée ».
Hilde Røsvik exagère à peine. Quand nous retournons à Longyearbyen, dix jours après la deuxième avalanche, l’amertume est palpable chez nombre d’habitants. Certains sont en colère, d’autres se sentent trahis. Ils avaient placé leur sécurité et celle de leurs enfants dans un système qui n’a pas tenu ses promesses : en un an, des centaines d’entre eux ont été évacués préventivement, sans qu’aucune avalanche ne se déclare. Mais « la seule fois où c’est vraiment arrivé, personne n’a été évacué… », grince Torunn Sørensen. La diacre du village qui, le 19 décembre 2015, s’était réveillée emprisonnée par la neige dans sa maison reste profondément marquée par la catastrophe. Comme la plupart de ses voisins, elle a téléchargé l’application Varsom sur son smartphone. Elle la consulte chaque jour « pour se rassurer, se dire qu’elle garde le contrôle ». Mais aujourd’hui, elle se demande à quoi bon. « Si au bout du compte je peux être tuée par surprise chez moi dans mon sommeil… ».

Quand nous la rencontrons ce jour-là, à Fruene, le salon de thé « le plus au nord du monde » (slogan obligé à Longyearbyen), la diacre d’ordinaire rieuse a l’air un peu triste.