À Longyearbyen (Norvège)
Le soleil s’est levé sur Longyearbyen. Le mois de février a d’abord changé l’obscurité en aube perpétuelle, une lumière bleue rasante finissant dans un coucher de traînées rose orangé. En mai, le jour polaire s’est installé, indéboulonnable jusqu’au mois d’octobre. Avec la photographe Axelle de Russé, nous avons effectué nos premiers reportages dans la nuit totale ; pour notre troisième voyage, nous sommes plongées dans la clarté permanente. Quand nous sommes sur les hauteurs de la cité polaire, plus rien n’entrave la vue sur l’horizon, nous sommes comme sur la dernière rive avant la fin du monde. Mais ce 25 mai 2017, nous ne sommes pas les seules étrangères de passage sur cette terre. Comme chaque année en cette saison, les premiers touristes débarquent. C’est encore le temps des navires de taille moyenne, réservés à ces vacanciers fortunés qui ont les moyens de détester les foules, mais bientôt, à l’été, arriveront les paquebots, ces cathédrales des mers.
Ils arrivent par grappes de l’aéroport de Longyearbyen, par le grand bus bleu que nous avons emprunté la première fois que nous sommes arrivées ici, il y a sept mois (lire l’épisode 1, « Au Svalbard, un chaud polaire »), ou de l’hôtel, en navettes privées. Sur la dalle de béton qui fait office de port de plaisance, les premiers croisiéristes ont déjà chaussé lunettes de soleil et enfilé appareils photo autour du cou. Ils arborent pour la plupart leurs tenues d’explorateurs des neiges flambant neuves – doudounes, bonnets, bottes griffées. Comme s’ils avaient lu le même prospectus vantant ces croisières, ils vomissent chacun leur tour « le tourisme de masse » et proclament qu’ils préfèrent « voyager hors saison ». Et pourtant, à Longyearbyen, la saison a bel et bien commencé : autour de nous, la dalle ne désemplit pas.

Avec Axelle, nous demandons à grimper dans le bateau qui nous semble être le plus sélect, un ancien navire-école bleu et blanc crème datant de 1955. Tout ce qu’il y a de plus vintage. Seulement douze passagers sont accueillis à bord, des photographes amateurs qui payent environ 10 000 euros la semaine pour revenir avec des images de la faune du pôle Nord. Pendant neuf jours et huit nuits, le navire longera les côtes du Svalbard en quête de colonies de morses amoureux, de phoques au repos, de renards des neiges s’ébrouant sur la banquise, de baleines à bosse plongeant dans les eaux glacées.