Le journal de bord que tenait Mamoru Eto en 1919 dans un cahier relié en cuir se défait aujourd’hui sous le poids des ans. Le 19 octobre à 19 h 45, il retranscrit cet événement dans des kanji si anciens qu’on peine à les lire aujourd’hui : « Ma femme accouche sans problème. Je suis vraiment très heureux. […] C’est un garçon. Ma joie est sans fin. » Mamoru Eto est né dans une petite ville de Kyushu, l’île la plus au sud-ouest de tout l’archipel japonais, mais Ken, son premier fils, vient au monde dans la banlieue de Stockton, à deux pas de la vallée de San Joaquin, en Californie. On dit de cet État qu’il est le jardin potager de l’Amérique. Un lieu de premier choix pour ceux qui se sont enfuis vers l’ouest, mais pour les Japonais qui ont dû traverser l’océan avant d’y arriver, le Golden State n’est jamais que la première étape du voyage.
Sur les vieilles photos de lui encore jeune homme, avec la boule à zéro et les yeux noirs, Mamoru Eto irradie de sa présence. Vétéran décoré de la guerre russo-japonaise, il affirme descendre des samouraïs, la caste de guerriers que l’on a privée de ses épées et de ses pouvoirs dix ans avant sa naissance. Il a déjà 34 ans quand il part pour les États-Unis, où il ne prévoit de rester que le temps d’étudier dans l’État du Massachusetts. Quand il arrive à San Francisco, il voit des travailleurs immigrés qui ont débarqué là avec l’espoir de retourner un jour dans leurs pays, mais qui, chaque soir, perdent tous leurs gains aux jeux.
Mamoru Eto espère finir ses études et retourner à l’université Kwansei Gakuin au Japon pour y enseigner, bardé de diplômes américains.