Nice, envoyée spéciale
Aux abords du centre-ville de Nice, les panneaux lumineux préviennent l’automobiliste : Promenade des Anglais coupée à la circulation.
Nous sommes vendredi, il est midi. Les piétons peuvent longer le bord de mer ensoleillé à condition de rester sur le bout de trottoir collé aux bâtiments. Certains prennent des photos, car à notre époque on prend des photos, c’est comme ça. Mais la plupart se taisent, respectueux ou sidérés, même lorsqu’ils marchent en groupe avec des serviettes de plage sur l’épaule. Des CRS en faction veillent à ce que personne ne franchisse les cordons et barrières pour fouler la chaussée, scène de crime silencieuse. Les avions continuent à passer très bas, au-dessus de la plage, pour atterrir à quelques kilomètres, sur l’aéroport de la ville posé au bout de la baie. Le calme après la tempête, un peu plus de douze heures après la course meurtrière d’un poids lourd qui a fait 84 victimes dans la foule.

De grandes bâches blanches font office de paravents, rappelant celle qui a protégé, pendant plusieurs semaines, la façade du Bataclan. Juste à côté, il reste une poussette abandonnée. Devant un bâtiment universitaire transformé en centre d’aide psychologique, les badauds se croisent et dessinent un décor absurde. Un drôle de cosmonaute, combinaison blanche et surchaussures bleues, sans doute un policier technique et scientifique, traverse la rue, tandis que des jeunes passent en hoverboard. Un homme âgé, noir, téléphone en marchant. On n’entend qu’une bribe de phrase : J’ai vu des morts.
Une retraitée, en jupe et tunique blanches, s’indigne : Tous les magasins sont fermés, même Pinocchio le glacier, c’est une catastrophe, et on n’a pas dormi de la nuit.
Un monsieur chauve et très bronzé fait un geste du bras pour attirer l’attention du CRS : il veut juste lui adresser des félicitations muettes, pouce en l’air. Les premières fleurs, des tournesols et des roses, sont accrochées aux barrières de circulation. Une couverture de survie poussée par le vent a échoué au pied d’un palmier.
À deux rues de là, le Bistrot Pirate n’a plus de pizzas. Les gens qui font les reportages
ont déjà mangé tout son stock. Anne et Olivier, mes voisins de table, engagent la conversation. À la fois émus et calmes, ils ont besoin de parler. Ils sont beaux tous les deux, 43 ans chacun, débardeur bleu ciel et une perle à chaque oreille pour elle, short beige et T-shirt rose pour lui.