Le quartier ne pavoise pas. Enfin, pas sur commande. Boulevard Voltaire, entre la place de la République et le Bataclan, je compte peu de drapeaux accrochés aux balcons.
Ce vendredi 27 à 10h30, heure de la cérémonie officielle d’hommage aux victimes organisée aux Invalides, il y a surtout des journalistes devant le Bataclan. Les gens s’y pressent plutôt à leur heure, souvent à la tombée de la nuit, après une journée de travail ou pendant leur pause déjeuner. La veille, le gouvernement a invité les gens à hisser des drapeaux de la France à leurs fenêtres, délivrant des consignes sur Twitter avec le hashtag #fierdelafrance.

Suis-je fière de la France ? Ces dernières années, si je me retourne sur mes pas, je vois : chômage, discriminations, FN, inégalités sociales ; les motifs de fierté sont relégués, enfouis. Dans le dictionnaire, « pavoiser » est associé à un événement positif : une cérémonie, une fête. Par exemple, on dit pavoiser pour la fête nationale
. J’avais déjà été surprise quand, après le 13 Novembre, le drapeau bleu-blanc-rouge avait envahi les profils Facebook. Je n’étais pas certaine d’en comprendre la signification. Ce matin, je me demande ce que ça veut dire, de mettre le drapeau de son pays à sa fenêtre ?
À la radio, dans les éditos, on exalte un patriotisme spontané, opposé au nationalisme fermé. Être Français, se revendiquer Français, est-ce la réponse ? Le drapeau est-il notre plus petit dénominateur commun ? Peut-on le brandir sur injonction de l’État ?
Les endroits où j’ai vu le plus de drapeaux tricolores, des marées même, mouvantes, imposantes, c’est dans les meetings du Front national. C’est un parti que j’ai suivi pour Libération pendant deux années, et sa réappropriation, sa confiscation du drapeau français l’a peut être vidé de sens à mes yeux. Aurais-je accroché à ma fenêtre un drapeau de l’Europe ? On n’en voit guère ici non plus, comme une preuve de sa faillite politique. L’Europe n’est même pas un symbole qu’on pense à agiter.

De toute façon, les hommages débordent les bouts de tissus officiels. Sur les lieux de recueillement, les bricolages du chagrin font apparaître la devise de Paris, la tour Eiffel, des poèmes, des dessins, des bougies et des fleurs. En face du Bataclan, je vois une bouteille de bière, un vinyle, le ticket d’un concert d’Alain Bashung… Le soir, des vendeurs de roses sortent du métro et affluent vers ces mémoriaux improvisés. Ils écoulent davantage de fleurs que de drapeaux.
Parfois, ces autels compassionnels me mettent mal à l’aise, je ne sais pas pourquoi.