L’odeur de cire est tenace. Dès qu’on regagne le quartier du Bataclan, avant même d’arriver sur les lieux des attentats et des commémorations, le parfum sucré des bougies emplit l’air. Je baigne malgré moi dans ce halo particulier. L’atmosphère n’est plus la même. Nous n’avons plus d’habitudes.
Comment reprendre le quotidien de la vie de quartier d’avant ? J’en discute avec Sandrine, dont les enfants vont à la même école que les miens et dont le chemin passe devant la salle de concert attaquée, où 90 personnes ont perdu la vie. Ce qui était le plus quotidien devient le plus exceptionnel, comme de se rendre à l’école
, me fait-elle remarquer. Sandrine habite à quelques immeubles du Bataclan, un impact de balle a creusé le mur à droite de la porte de chez elle. Un blessé a été recueilli dans son hall le vendredi soir par sa voisine du premier étage. Pendant plusieurs jours, il y restait du sang et une serviette tachée : On voulait nettoyer mais la police a donné pour consigne de ne toucher à rien.
Le retour à la normale est chaotique. Ces rues demeurent pour elle une zone anxiogène
. Tout pose question, tout nous affecte. La première fois où je suis sortie de chez moi pour acheter du pain, j’ai eu l’impression d’être un soldat, un combattant ou un résistant, je devais vaincre quelque chose
, se souvient-elle. Au début, elle n’arrivait pas à laisser ses enfants, même pour une course rapide. Normalement, quand je les quitte, je n’ai pas de doute, je sais que je vais les retrouver. Intellectuellement je sais que je vais revenir, que je suis juste allée chercher du pain, mais dans mon bide, non… ce n’est pas fini
, dit encore Sandrine. Le soir des attentats, elle n’était pas avec eux, elle était sortie avec des copains, dans le XVIIIe, laissant son compagnon avec les enfants. Elle n’a pas pu rentrer avant tard dans la nuit. J’en ai éprouvé beaucoup de culpabilité, comme si j’avais mis en danger l’intégrité de ma famille : pourquoi j’étais allée boire des coups ce soir-là ? J’ai besoin qu’on soit rassemblés, en famille
, m’explique-t-elle.
Les priorités sont inversées : je pense d’abord au risque avant de penser au plaisir.
Je la comprends. D’ordinaire, je ne vais jamais chercher mes enfants à l’école, il est trop tôt pour moi. Depuis les attentats, je me rue à la sortie des classes, même si j’ai encore du travail, je les guette, je les accompagne, je les colle. Quand la nuit d’hiver tombe, quelque chose m’étreint : il faut impérativement que je les retrouve au plus vite. C’est animal. Le soir, Sandrine a le même sentiment d’être très vulnérable
.