Depuis le 13 Novembre, ce boulevard sent la désolation. Ceux qui foulent le bitume du boulevard Voltaire me semblent renfermés, ils passent au plus vite devant une salle de spectacle devenue cimetière (lire l’épisode 1, « Vendredi ou la nuit sauvage »). Comme moi qui habite dans ce quartier (et qui le raconte dans ce journal de bord du XIe), les riverains ne s’attardent pas sur le trottoir. La flânerie est hors sujet. En tout cas, mon pas n’y est jamais joyeux.

Mercredi 9 mars, journée de mobilisation contre la réforme du code du travail, le défilé suit le trajet habituel des manifestations, le classique « Répu-Nation », et passe devant le Bataclan. Je regarde le cortège depuis mes fenêtres, puis dans la rue. Des lycéens, des syndicalistes, des salariés viennent repeupler ce décor déserté par la vie. Ce n’est pas une foule endeuillée, comme lors du rassemblement du 11 janvier 2015, après les attentats de Charlie, ni un attroupement silencieux, comme lors des instants de recueillement après les tueries de novembre. La foule est colère, elle vit, elle marche, elle fait corps, elle est mouvante. Elle ne commémore rien.

S’il y a une arme, c’est un poignard dessiné sur un carton, tenu par une rose socialiste et planté sur un code du travail. C’est lui qu’on assassine. Quand j’entends les sirènes de la police, je pense à un banal incident de manif, à un maintien de l’ordre habituel, comme avant. Il y a quelque chose de rassérénant à retrouver ici les mégaphones des contestataires, les cris des étudiants, les banderoles bricolées, les fanfares improvisées… Tout ce folklore hexagonal.
C’est une réappropriation du boulevard par la politique. Les mots sur les banderoles ne parlent pas de mort mais d’avenir. Il y a du rouge sur les murs, mais ce sont des slogans.