Sophie sortait d’une réunion quand elle a appris l’arrestation en Belgique de Salah Abdeslam, le terroriste recherché depuis les attentats du 13 Novembre à Paris. C’est un flash du Figaro sur son mobile qui l’a alertée. Elle a crié à la cantonade : Il est vivant !
C’était presque une réaction enfantine, comme une petite fille qui sautille de joie
, me raconte-t-elle quand je la rencontre trois jours après, dans un café du quartier du Bataclan où nous avons à présent nos habitudes. Sophie était en terrasse du bar qui jouxte la salle de concert, le vendredi 13 novembre, et a échappé aux tirs d’un des assaillants (lire épisode 8, « J’ai vu le tireur, jeune, calme, tranquille »). La fin de cavale d’Abdeslam la soulage. Mais elle fait également remonter beaucoup d’angoisse
.
Je l’avais un peu tué dans ma mémoire. Pour qu’il ne puisse pas revenir.
Depuis le 13 Novembre, Sophie essaie, pas à pas, de se reconstruire (lire l’épisode 25, « La peur de Sophie “ne s’atténue pas” »). J’ai essayé de tourner la page. Je me suis dit :
Elle a en partie Ils sont morts.
occulté
la figure d’Abdeslam, en fuite jusqu’au vendredi 18 mars et présenté comme un ennemi public : Je l’avais un peu tué dans ma mémoire. Pour qu’il ne puisse pas revenir.
On ne sait pas exactement quel est le rôle exact de ce Français de 26 ans qui semble avoir été un logisticien des attentats parisiens, et aurait dit aux enquêteurs qu’il devait se faire exploser au Stade de France. Est-ce un pion ? Un superviseur ? Je me méfie toujours un peu de ce qu’on nous dit de l’enquête pour nous nourrir, nous satisfaire. Mais en tout cas, on n’a pas coupé le mal à la racine.

Son arrestation ramène Sophie en arrière. Je veux oublier, mais là, j’arrive dans une impasse.
Sophie est retournée à l’intérieur du café lorsqu’il a rouvert un matin pour accueillir des rescapés qui revenaient voir la salle de concert où 90 personnes ont péri. Cela ne correspondait pas forcément à mes souvenirs. J’ai revu le placard dans lequel je m’étais cachée, mais je n’ai pas réussi à refaire mon parcours ; j’y allais, je cherchais quelque chose, je suis allée voir et je n’ai pas trouvé. Mais c’était une étape, comme un cérémonial de deuil.
Comme beaucoup de victimes des attentats l’ont déclaré, Sophie attend une parole de la part de Salah Abdeslam. Mais la satisfaction de le voir arrêté vivant – ce qui, souligne-t-elle, était peu probable vu la violence des assauts précédents
– tient aussi de la vengeance
. Il va pouvoir payer s’il a joué un rôle : sa vie sera finie sans l’être, il va croupir en prison.
La menace est encagée.